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Libération
Reportage

François Hollande en Corrèze : «j’ai essayé de vous attirer au paradis»

A quatre mois de la fin de son mandat, François Hollande s'attarde en Corrèze pour y présenter ses vœux, se poser en protecteur des Français et se laisser aller à quelques envolées mystiques.
François Hollande à l'inauguration d'un futur EHPAD en Corrèze, le 7 janvier. (Photo Kamil Zihnioglu. AFP)
publié le 7 janvier 2017 à 17h19

Ce sont ses «forces de l'esprit» à lui. «Ici, on est au centre de la Corrèze. Vous avez même dit au paradis», s'amuse François Hollande de retour sur sa terre d'élection à quatre mois de la fin de son mandat. «Beaucoup me demandent ce que je vais faire, où je vais aller : vous avez la réponse ! Non pas à la maison de retraite de Corrèze mais au paradis !». Derrière l'estrade, son ombre se détache sur fond blanc comme un spectre allégorique. Embarqué dans une tournée d'inaugurations et de vœux dans son fief politique, François Hollande ne lésine sur aucune allusion à sa vie d'après l'Elysée.

Brouillant les pistes, érigeant les bons mots en rempart contre la nostalgie ambiante. Les journalistes guettent le moindre signe de regret ou de lassitude depuis le 1er décembre et son abdication républicaine. Lui embraye et réécrit son mandat à l'encre sarcastique. «J'ai essayé de vous attirer au paradis, vous n'avez pas voulu le croire. Mais vous verrez ce que c'est, vous me suivrez au paradis», se marre le président socialiste, laïque et agnostique.

A Saint-Mexant, où il a réussi à filer sans la presse vendredi soir, le chef de l'Etat a appelé ses amis corréziens à «profiter de chaque jour qui nous est donné par le destin, de tous les instants de la vie car la vie à un moment peut s'échapper». Les ellipses, c'est sa marque de fabrique. Les allusions mystiques beaucoup moins. «Ne vous inquiétez pas, je ne m'ennuierai pas», rassure-t-il ses conseillers qui s'enquièrent de la suite.

«Si tu lui dis d’aller à droite, il y a 99% de chances qu’il aille à gauche»

Libéré du poids d'une nouvelle candidature, Hollande n'en fait (encore plus) qu'à sa tête. «Il est président, il a toujours fait ce qu'il voulait mais maintenant si tu lui dis d'aller à droite, il y a 99% de chances qu'il aille à gauche», confie un conseiller présidentiel.

Alors que son agenda est peuplé de dernières fois depuis son renoncement, tout en Corrèze lui rappelle les premières. Dans un petit village lui-même nommé Corrèze, aux maisons de pierre bleutée, l'impétrant parlementaire Hollande a tenu sa première réunion publique sur son nom à 27 ans. C'était en juin 1981, il y a un siècle. Jacques Chirac entamait sa longue marche vers l'Elysée. Ici, Hollande a été heureux. Aujourd'hui, il se cache derrière le ressenti des Corréziens face à son retrait annoncé de la vie politique pour parler de lui : «Il y a eu l'adhésion à une certaine conception de la politique et un sentiment très fort de tristesse. Les deux se sont mêlés.»

Sur les routes glacées de Corrèze, de grandes affiches – photos de sumos incluses – dirigent vers Sarran où sont exposés les cadeaux présidentiels de l'ère Chirac, venant souligner le côté à part d'un département ayant propulsé deux élus du cru vers le sommet de l'Etat. Personne, dans l'entourage de Hollande, ne veut réfléchir à un musée du quinquennat. «Il ne va pas construire un monument pour ça alors qu'il n'a même pas fait sa BNF» pour marquer son mandat de grands travaux architecturaux comme François Mitterrand, élude un conseiller élyséen. Successeur de Hollande à la mairie de Tulle, Bernard Combes suggère de faire de Sarran le «musée des présidents» pour ne pas créer de nouveau lieu et économiser l'argent public. «Mais je ne suis pas totalement certain que la droite va valider cette idée de marier nos présidents», sourit l'édile en préparant la 28e visite présidentielle en Corrèze depuis 2012.

De remise de décorations en pose de première pierre d'Ehpad, le programme ressemble à celui d'un président de département, qui a grandement bénéficié de l'aura présidentielle depuis cinq ans. Président de tous les Français, Hollande veille à rectifier le tir, dément tout favoritisme et coupe l'herbe sous le pied de la droite, locale et nationale : «Si je peux être utile pour le département, c'est en ouvrant des portes. Jamais en forçant des destins. Ce serait une très mauvaise idée de la République qu'on puisse avoir ce que les autres n'ont pas.»

«Avec lui, il y a beaucoup de choses mystérieuses»

Si le «récit» du quinquennat, ou plutôt son absence, était le pêché originel de François Hollande, les quatre derniers mois promettent d'être chargés en messages pas du tout subliminaux sur le chemin de la présidentielle. Dans chacune de ses allocutions, il se pose en protecteur des Français, en défenseur des fonctionnaires et de l'action de l'Etat face aux projets de la droite et de l'extrême-droite. «La solidarité et les services publics, ce sont ces deux mots-là que nous devons défendre», insiste-t-il à Corrèze où il a affronté le froid en simple costume de ville, cravate violette. «Oh vous savez, avec lui, il y a beaucoup de choses mystérieuses», glisse un proche interrogé sur cette résistance, à l'hiver ambiant et au reste.

A l'heure du bilan, les Corréziens comme les Français restent extrêmement critiques. En 2012, «ils étaient plus enthousiastes que les autres, c'est peut-être pour ça qu'ils sont plus déçus», avance un producteur de foie gras de canard sur le marché. «Certes les gens sont déçus mais quand ils viennent voter, ils nous montrent leur carte éléctorale signée Hollande : ils sont fiers quand même», relate Jérémy Novais, jeune conseiller municipal de Tulle. Pour lui, il n'a manqué que quelques mois pour que la mécanique hollandaise se dégrippe : «les résultats commencent à tomber, c'est positif là, ça envoie». Dans la salle polyvalente de l'Auzelou, où François Hollande présente ses derniers voeux de président à la Corrèze, le wifi livre un dernier clin d'oeil. Nom du réseau: «Presse présidentielle». Mot de passe: «Tulle 2017».