Un autocar qui dérape, probablement sur du verglas, et termine violemment dans le fossé. Parmi les Portugais qui l'avaient emprunté pour retourner en Suisse, quatre sont tués. Parmi la vingtaine de blessés, trois se trouvent dans un état grave. Le Premier ministre, Bernard Cazeneuve, a exprimé «la solidarité du gouvernement envers le gouvernement portugais, alors qu'un accident de la circulation a causé le décès de quatre personnes de nationalité portugaise ce matin à Charolles (Saône-et-Loire)». Le 29 mars, c'était déjà un minibus transportant des Portugais revenant de Suisse qui percutait un camion dans l'Allier. Douze morts.
Un accident de l’hiver ? Certes mais pas seulement. Entre Paray-le-Monial et Mâcon, en Saône-et-Loire, la route nationale 79 est une simple bande à une voie dans chaque sens. Comme à la campagne. Sauf que ce tronçon fait partie de la route centre Europe Atlantique (RCEA), un axe de plus de 1 000 kilomètres qui traverse la France d’est en ouest, voit passer 40% de poids lourds et, dans ses parties non aménagées de l’Allier et de la Saône-et-Loire, bat tous les records d’accidents mortels.
Tout au long des ces portions de voirie où seule une double ligne continue sépare les deux sens de circulation, on voit, sur 120 kilomètres quand même, des panneaux sur lesquels on lit : «Risque de collision». En quatre langues, et avec un dessin pour qu'on comprenne bien. Les pouvoirs publics ont déployé sur la chaussée tout ce qui existe en matière d'alerte pour les conducteurs : barrettes sonores qui vibrent quand on passe la ligne, peintures visibles de nuit et par temps de pluie. Et cette double ligne continue qui doit inciter chacun à se placer le plus à droite possible.
Manifestement, c'est loin de suffire. Sur cet axe que les riverains et les gendarmes ont rebaptisé «Route de la mort», entre Montmarault dans l'Allier et Mâcon en Saône-et-Loire, «le taux de mortalité est cinq fois supérieur à d'autres routes nationales du même type», écrivait la Gazette des communes en 2013.
Divisions politiques sur le financement
La RCEA a été dessinée en 1954 avec la louable intention de faire parcourir la France aux touristes autrement que dans l’axe nord-sud. Mais ce sont surtout les transporteurs qui ont vite découvert les avantages de cette voie qui ne traverse aucune agglomération, passe au nord du Massif central en évitant les lacets de montagne gourmands en carburant et surtout, est gratuite. Résultat : les poids lourds représentent presqu’un véhicule sur deux. Là-dessus, s’est ajoutée l’augmentation du trafic marchandises européen.
La dangerosité de cet axe n’est un mystère pour personne. Dans le schéma national des infrastructures de transports, réalisé en 2011 par le ministère de l’Ecologie dans le cadre du Grenelle de l’Environnement, la RCEA était pointée comme l’un des quatre axes les plus dangereux du réseau national (1). L’unanimité règne aussi sur la solution technique à apporter, à savoir passer à deux fois deux voies avec un séparateur central. Bref, ce que l’on voit partout et même tout au long de la RCEA sauf dans l’Allier et la Saône-et-Loire.
Car ce qui divise, et depuis longtemps, c’est le financement. Le budget total des travaux est évalué à un milliard d’euros. Sur cette route nationale, c’est en principe à l’Etat de passer à la caisse. Mais en 2011, Nathalie Kosciusko-Morizet, alors ministre de l’Ecologie, annonce que le gouvernement a décidé de régler le problème en proposant aux sociétés d’autoroutes de prendre cette voirie sous concession dans l’Allier et en Saône-et-Loire. A charge pour eux de faire les travaux. Et pour les usagers, d’acquitter un péage.
A l'époque, Arnaud Montebourg est président du conseil général de Saône-et-Loire. La décision de gouvernement de droite l'ulcère et il n'est pas seul dans son combat : ni les habitants ni la fédération nationale du transport routier ne veulent entendre parler d'un péage. Même le député UMP de Saône-et-Loire Gérard Voisin regarde la solution de la concession avec méfiance. «Certains affirment que sa privatisation à péages donnerait des résultats plus rapides, écrivait-il en 2013 dans une tribune, juste après un accident à hauteur du village dont il est maire. Je ne le crois pas, c'est même plutôt l'inverse.»
Ecotaxe
Dans son texte, Voisin évoquait son «idée d'utiliser la redevance poids lourds pour financer les travaux», projet ensuite repris par le conseil général présidé par Montebourg. Quel que soit l'auteur de la proposition, Montebourg défend en effet ce plan B. L'Etat transférerait la route aux deux départements et leur permettrait de financer les travaux grâce à l'écotaxe dont l'entrée en vigueur était alors prévue pour 2013. En décembre 2011, il avait même organisé une «votation citoyenne» qui recueillait – ô surprise – 94,8 % de non aux péages. Agitation utile ? En janvier 2012, peu avant la présidentielle, la ministre Nathalie Kosciusko-Morizet abandonnait l'idée de la concession au profit de la solution transfert plus écotaxe.
Sauf que l'écotaxe a fait long feu. A son arrivée, le gouvernement de gauche a commencé par geler la mise en concession, après quoi Frédéric Cuvillier, alors chargé des Transports, a annoncé «un plan de relance RCEA» pour 440 millions d'euros sur onze ans. En clair, une accélération des travaux.
Aujourd'hui, Alain Vidalies, ministre des Transports, a rappelé dans un communiqué publié après l'accident de ce dimanche matin, que le gouvernement avait «engagé un chantier de plus d'un milliard d'euros sur les deux départements de l'Allier et de la Saône-et-Loire». Et de préciser : «Il s'agit de l'un des plus grands chantiers routiers de France.» Il assure que «le calendrier d'aménagement connaît un rythme soutenu». Mais avec deux accidents graves en moins d'un an, cela sera-t-il suffisant ?
(1) RN154 entre Allaines (Eure-et-Loir) et Nonancourt (Eure); RN7 Roanne nord de Moulin; A9 contournement sud de Montpellier entre Saint-Jean-de-Védas et Montpellier est.