Détenu le plus surveillé depuis son incarcération en France le 27 avril dernier, Salah Abdeslam demeure aussi le plus impénétrable. Du moins pour la justice. Questionné pour la troisième fois, le 29 novembre, par le juge Christophe Teissier sur son implication dans les attentats de Paris, il garde un silence complet. «Vous m'avez fait savoir que vous ne souhaitez plus d'avocat, maintenez-vous cette position ?» demande le juge antiterroriste. «Oui.» «Acceptez-vous aujourd'hui de répondre aux questions ?» «Non.» Christophe Teissier en égrène tout de même 108, obligeant le greffier à noter «mutisme» tout au long des 13 pages de retranscription.
Seul survivant des commandos qui ont frappé Paris le 13 Novembre, Salah Abdeslam reste l’objet de moult spéculations. Devait-il, lui aussi, mourir en martyr ? S’est-il «dégonflé» ? Sa ceinture d’explosifs, retrouvée dans une poubelle, s’est-elle avérée défectueuse ? Etait-il déterminé à tuer au nom de l’Etat islamique (EI), lui qui, quelques semaines avant les attentats, écumait encore les discothèques belges ?
Extraits. A défaut de s'exprimer devant les juges, Abdeslam s'est confié par écrit depuis sa cellule de 11 m2 de Fleury-Mérogis. Dans une lettre, non datée, versée au dossier d'instruction le 11 octobre, il se montre pour la première fois assez disert. Les trois paragraphes ont été rédigés en réponse à une mystérieuse femme qui lui avait adressé plusieurs courriers. Quelques mots qui éclairent d'un jour nouveau la personnalité trouble du terroriste. C'est en tout cas l'avis du juge Teissier, qui a décidé d'en saisir une copie, l'estimant «utile à la manifestation de la vérité». Après l'avoir consultée, Libération a choisi d'en publier des extraits qui, s'ils ne sauraient être conclusifs, sont des éléments de compréhension parmi d'autres, permettant de saisir un peu mieux le rapport d'Abdeslam à la religion, au monde extérieur et à lui-même. Ce document étonnant peut ainsi se lire comme ses premiers mots dans la procédure française. Il commence ainsi : «Je t'écris sans savoir par ou commencé, j'ai reçu l'ensemble de tes lettres et ne pourrais te dire qu'elle me font plaisir ou non, ce qui est sur c'est qu'elle me permette de passé quelque temps avec le monde extérieur.» [sic]
Avec son écriture, petite et régulière, Abdeslam s'ouvre à son interlocutrice, visiblement soucieuse de sa démarche. «D'abord, je n'ai pas peur de faire sortir quelque chose de moi car je n'ai pas honte de ce que je suis et puis qu'est-ce qu'on pourrai dire de pire que ce qui ce dit déjà. Tu es sincère alors je vais l'être aussi, si je te demande les intentions de ta démarche c'est pour m'assuré que tu ne m'aime pas comme si j'étais une "star ou une idole" parce que je reçois des courriers comme ca et je ne cautionne pas cela car le seul qui mérite d'être adorer c'est Allah, Seigneur de l'univers.»
Droits. Selon nos informations, Abdeslam est destinataire de nombreux courriers. Un bon connaisseur du dossier, contacté par Libération, confirme : «Des catholiques lui écrivent pour l'interroger sur sa foi, des femmes crient leur amour et veulent porter son enfant, des avocats proposent leurs services, c'est incessant.» Une autre source ajoute que même des demandes d'interviews ont été adressées par voie postale. Jusqu'à présent, Abdeslam n'aurait répondu qu'à cette femme, dont la dernière missive émane d'une poste de Côte-d'Or. Plusieurs sources proches du dossier, sollicitées par Libération, assurent ne rien connaître d'elle et se disent même incapables à ce stade de confirmer son identité.
Malgré ses conditions de détentions drastiques (il est filmé en continu), Abdeslam a parfaitement le droit de recevoir du courrier comme d’en écrire. La circulaire du 14 avril 2011, ainsi que l’article 8 de la CEDH, fixe en effet une série de droits pour les détenus à l’isolement - ce régime n’étant pas une sanction disciplinaire - dont celui à la correspondance. Abdeslam ne bénéficie donc d’aucun traitement de faveur. Et ses échanges sont systématiquement ouverts et relus par la pénitentiaire et le juge.
La saisie de ce courrier est intervenue la veille du jour où les avocats Frank Berton et Sven Mary ont annoncé renoncer à assurer sa défense, empêchés d'agir par le mutisme d'Abdeslam. Me Berton confiait : «J'ai senti qu'il se radicalisait de manière extrême.»Les extraits confirment a minima l'extrême religiosité dans laquelle le détenu semble s'être installé : «Je ne cherche ni à m'élevé sur terre ni a commettre le désordre, je ne veux que la réforme, je suis musulman, c'est-à-dire soumis à Allah […] Est tu soumise ? Si non Alors depeche toi de te repentir et te soumettre à Lui. N'écoute pas les gens mais plutôt les paroles de ton seigneur. Il te guidera.» S'agira-t-il des seuls mots de Salah Abdeslam à disposition de la justice française ?