Il prononce ces premiers mots d’une voix ferme : «Je n’ai pas tué Christelle Blétry, je n’ai rien à voir avec ce crime.» Pascal Jardin, jugé pour le meurtre de la jeune femme de 20 ans, reste imperturbable lorsque la présidente lui rappelle qu’il encourt la réclusion criminelle à perpétuité. Que s’est-il passé cette nuit du 28 décembre 1996 ? Allure bien mise, col de chemise blanc dépassant de son pull à rayures, l’accusé déroule son récit comme une leçon bien apprise. «Je rentrais du travail à Chalon-sur-Saône et, une fois arrivé au « stop » de Blanzy, je vois une jeune fille qui frappe à ma vitre.» Il a alors l’impression qu’elle «ne se sent pas très bien» et lui propose de monter. Lorsqu’il se gare quelques mètres plus loin, sa passagère semble affolée par la lumière, il roule donc jusqu’à un coin sombre, en contrebas du presbytère de Blanzy. «Elle a l’air d’avoir peur de quelque chose mais je ne sais pas de quoi, j’essaye de lui poser des questions, elle ne me donne pas de réponse concrète.» Apparemment, la température est tellement élevée dans l’habitacle qu’elle décide d’ôter son manteau puis son pull. C’est à ce moment-là que Pascal Jardin aperçoit son soutien-gorge qui agit comme une sorte de déclic. «Quelque chose s’est passé, on a eu une relation intime», résume-t-il. Il aurait ensuite proposé à la jeune femme de la revoir, ce qu’elle aurait décliné avant de s’en aller précipitamment. Voici donc l’histoire d’une étreinte fugace entre deux inconnus.
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Sauf que «la jeune femme» s'appelle Christelle Blétry, qu'elle n'était pas du genre à monter en voiture avec n'importe qui et qu'elle a été retrouvée le lendemain, en bordure d'un chemin de campagne, poignardée de 123 coups de couteau. Alors la présidente, Caroline Podvin, va reprendre méticuleusement, voire chirurgicalement, le déroulé des faits. Elle oblige l'accusé à fournir tous les détails. Comment la voiture était-elle garée ? La moteur était-il éteint ? Dans quelle position se tenait-il ? Où étaient les vêtements de Christelle Blétry ? Pourquoi le rapport sexuel a-t-il été avorté ? Pascal Jardin a réponse à tout, il offre même un luxe infini de détails. Sans se laisser décontenancer par le scepticisme de la présidente, il s'accroche à sa version. Parfois jusqu'à l'absurde, comme lorsqu'il soutient ne pas avoir su que la jeune femme assassinée, celle qui faisait la une de la presse, était sa rencontre nocturne. Il raconte qu'au lendemain du crime, il a bien entendu parler de l'affaire par un voisin, mais qu'il n'a pas lu un seul article de presse, n'est pas rentré dans un bureau de tabac et n'a pas écouté la radio. Il a seulement vu un reportage aux informations «quatre ou cinq jours plus tard» mais le «nom et le prénom ne lui disaient rien». Alors «dans le doute», il a préféré ne pas contacter la police.
Signé «le monstre»
«Si l'on résume, une jeune femme que vous ne connaissez pas est montée dans votre voiture parce qu'elle avait peur, elle vous a masturbé et est repartie», s'énerve Me Didier Seban, avocat des parties civiles. L'accusé reste de marbre et ose même : «Elle avait besoin de chaleur humaine, elle s'est sentie réconfortée.» «Vous pouvez m'expliquer en quoi un rapport sexuel aurait rassuré la victime ?», lance à son tour l'avocat général, Philippe Chassaigne. Pascal Jardin ne vacille pas, il insiste : c'est «un autre qui a tué». Sauf que ce n'est pas ce qu'il a toujours dit. La cour revient sur sa garde à vue de septembre 2014. A l'époque, confondu par son ADN – retrouvé notamment sur les sous-vêtements de la victime – Pascal Jardin a reconnu être l'auteur du meurtre. «Pris d'une rage folle», dira-t-il, il a frappé Christelle Blétry «devant derrière». Celui qui a signé son procès-verbal «le monstre» a réitéré ses confessions devant le juge d'instruction.
Cependant, quelques semaines plus tard, lors d’un nouvel interrogatoire, il est revenu sur ses aveux, dénonçant des «pressions policières». Aujourd’hui, devant les jurés, il explique avoir proféré de «faux aveux» pour que «tout s’arrête», parce qu’il était «à bout». Il aurait donc «tout inventé» répondant «au hasard» aux questions de l’enquêteur. «Vous avez donné des détails que seul le meurtrier pouvait connaître !», insiste Me Seban. Pascal Jardin, qui a revêtu une fois les habits du coupable, peine visiblement à s’en défaire.