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Libération
TRIBUNE

Alexandre Delaigue «Productivisme, cosmopolitisme et autoritarisme»

publié le 27 janvier 2017 à 18h26

En matière économique, trois questions traversent la gauche. Sans être énoncées comme telles, elles sont des sources de contradictions récurrentes. L’opposition entre Hamon et Valls, de manière implicite, se construit par rapport à elles. La première question est celle du productivisme. Doit-on attendre de la croissance qu’elle soit le moteur de l’enrichissement du plus grand nombre (en la redistribuant éventuellement par la fiscalité) ? Ou doit-on abandonner l’idée de croissance, vivre dans un monde fini dont il faut répartir les fruits ? Si le renoncement à l’idée de croissance est fréquemment rencontré parmi les intellectuels marqués à gauche, il n’est pas très vendeur auprès des classes populaires, qui aspirent à plus de prospérité matérielle.

La seconde question est celle du cosmopolitisme, le rapport à l’étranger. La question de la prééminence de la construction européenne sur la politique nationale empoisonne la gauche depuis des décennies, lorsqu’on renonce à appliquer une politique de gauche pour ne pas casser l’Europe. Mais la question de l’immigration se pose aussi. Restreindre les flux migratoires est difficilement compatible avec les valeurs de gauche. Les véritables déshérités sont à l’extérieur de nos frontières, qu’ils soient réfugiés ou migrants économiques ; le moins que l’on puisse dire est que l’augmentation des entrées d’immigrants n’est pas à l’ordre du jour.

La troisième question est celle de l’autoritarisme. Faut-il diriger, orienter les comportements individuels, ou au contraire les libérer, en sachant que les gens n’agiront pas forcément comme on le souhaiterait ? Revenu universel ou incitation au travail, aides sociales avec ou sans contreparties, cannabis en vente libre ou interdit… tous ces dilemmes touchent à ce débat. Là encore, la gauche fait face à une contradiction entre ses valeurs affichées - plutôt libertaires - et des réflexes spontanés de contrôle sociétal.

Ces trois questions ne sont pas limitées au Parti socialiste mais touchent toute la gauche : Jean-Luc Mélenchon, par exemple, reste largement productiviste et considère les intérêts des salariés français comme prioritaires par rapport à ceux des étrangers. Sur chacune de ces questions, la difficulté provient d’une contradiction entre valeurs affichées par le parti et préférences de l’électorat populaire. Qu’en est-il des deux candidats au second tour de la primaire socialiste ? Benoît Hamon a eu le mérite, qu’on l’approuve ou non, de poser la question de la croissance et de construire un programme refusant de la placer au centre des préoccupations économiques. Il est aussi plus cosmopolite et multiculturel que Valls, et plus ouvert au libéralisme sociétal, comme sur la question du cannabis.

Manuel Valls est plus clairement productiviste ; s’il est clairement pro-européen, il est nettement moins ouvert en matière migratoire. Sur le plan sociétal, il est clairement plus autoritaire. Si Hamon gagne la primaire, cela donnera lieu à une clarification. Pour autant, il n’est pas certain que ce programme soit à même de conquérir un vaste électorat.