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Libération

Alstom : l’Etat commande, la SNCF grince

Bercy doit faire avaler à l’entreprise publique l’épineux dossier d’achat de TGV, qui a permis de sauver l’usine de Belfort. Sans froisser Bruxelles…
publié le 6 février 2017 à 20h36

L’affaire ressemble fort à une patate chaude que chacune des parties cherche à se refiler. Le 4 décembre, l’Etat annonce une commande de matériel ferroviaire pour un montant de 400 millions d’euros. Elle est destinée à redonner de l’activité à l’usine belfortaine d’Alstom, spécialisée dans la construction de locomotives. La décision a été prise en urgence afin d’éviter une fermeture du site, qui emploie 480 salariés. En revanche, les modalités de cette commande n’ont pas été, à ce moment-là, une priorité. Et pour cause : la SNCF n’a pas vraiment besoin de rames TGV… qui vont circuler à moins de 200 km/h sur des lignes classiques entre Bordeaux et Marseille. L’entreprise publique s’en remet donc à l’Etat pour l’intendance d’un dossier dont elle se serait bien passée. De son côté, Bercy compte sur la SNCF pour faire avancer les choses une fois sa volonté exprimée. Dialogue de sourds.

Guêpier. Or voilà que la manière dont vont être commandées les 15 rames de TGV, pour un montant de 400 millions d'euros devient un vrai casse-tête. L'Etat ne peut acheter ces trains en direct, au risque de se faire sérieusement remonter les bretelles par Bruxelles. La Commission européenne pourrait considérer qu'il s'agit là d'une aide d'Etat ô combien illégale. Qu'à cela ne tienne, la SNCF pourrait alors se charger de la commande elle-même. Dans cette hypothèse, elle devra alors passer par un appel d'offres en bonne et due forme et examiner, voire retenir, les propositions de concurrents d'Alstom. Plutôt gênant pour une opération de sauvetage d'un industriel français. Sans compter les risques de retard pour la livraison des rames, dont la mise en service est prévue en 2021. Il est donc urgent de trouver une solution.

Lundi, lors d'une réunion à Belfort, le représentant du ministère de l'Economie a été longuement questionné par les représentants des salariés sur la manière dont l'Etat compte sortir de ce guêpier juridique. «Il nous a indiqué que la piste à l'étude était un achat direct par la SNCF avec un financement de l'Etat», précise Claude Mandart, délégué central CEF-CGC d'Alstom.

Pour le moment, Christophe Sirugue, le secrétaire d’Etat à l’Industrie qui a hérité de ce dossier, a choisi de se faire discret. Il fait travailler les juristes du ministère sur une solution eurocompatible. S’il s’avère que la SNCF doit elle-même commander ces rames, elle devra réclamer deux garanties : le remboursement par l’Etat d’une opération dont elle n’a pas pris l’initiative et l’assurance qu’en cas d’alternance politique, elle ne se retrouve pas avec la commande sur les bras et une majorité hostile à tenir l’engagement financier. Rendez-vous est pris pour le 17 février, lors d’une rencontre entre Sirugue et les syndicats d’Alstom, sur le suivi des engagements de l’Etat. Les salariés y attendent des réponses précises sur les modalités de la commande.

Hasard ou coïncidence, depuis quelques semaines, la SNCF a été contrainte d'avaler une série de couleuvres. Outre cette commande forcée, elle doit mettre en œuvre le CDG-Express, la liaison directe entre la gare de l'Est et l'aéroport Charles-de-Gaulle. Un projet à 1,6 milliard d'euros qui provoque quelques aigreurs d'estomac au siège de l'entreprise publique, où certains auraient préféré un investissement du même montant consacré à l'amélioration du service sur le réseau nord du RER. «L'utilisateur quotidien suscite visiblement moins de préoccupations que le voyageur aérien par nature plus occasionnel», grince un cadre.

«Couleuvres». Aussi, début juin, le PDG, Guillaume Pepy, porteur d'un projet de réforme du temps de travail des personnels roulants, a dû accepter de faire machine arrière : coincé entre un préavis de grève illimité et le début de l'Euro de foot, l'exécutif a préféré limiter les risques. Enfin, la SNCF doit affronter depuis quelques semaines la fronde des présidents de région devenus de plus en plus exigeants sur la qualité de service des TER. Forts des perspectives de concurrence sur ces liaisons, Christian Estrosi (Provence-Alpes-Côte-d'Azur) et Laurent Wauquiez (Auvergne - Rhône-Alpes) réclament le versement de pénalités financières de plusieurs millions d'euros pour manquement aux engagements de l'opérateur ferroviaire. «Avaler des couleuvres, c'est quasiment inscrit dans la lettre de mission de la SNCF», philosophe Bernard Aubin, ex-secrétaire général de la CFTC Cheminots.