Difficile d'imaginer plus mal garée que cette Mini noire qui, tel un défi lancé à tous les contractuels de la ville de Paris, détonne, seule à l'arrêt, sur la place du 18 Juin 1940, en contrebas de la gare Montparnasse. S'il a opté pour ce stationnement sauvage, sans même prendre la peine d'allumer les feux de détresse - «au contraire, ça évite d'attirer l'attention» -, c'est que le propriétaire du véhicule est un retardataire multirécidiviste. Or, débouler hors-délai au rendez-vous induit ce genre d'entorse au code de la route.
Néanmoins, en plusieurs occasions, la fourrière a été plus prompte à la répression. Aussi, afin de prévenir toute nouvelle déconvenue, l'humoriste Fary suggère au débotté de changer de table pour donner audience. A l'alcôve initialement réservée en retrait de la clientèle du tea time, au premier étage de la brasserie dévisageant cette salle du Grand Point-Virgule qu'il remplit à chacun de ses passages, il préfère garder une vue plongeante sur le trafic. Ce qui, sans qu'on daigne y voir la moindre marque de messéance, occasionne une rencontre d'un genre assez inédit : de profil. Contrairement au propos qui, lui, n'a rien d'oblique. Car, même à l'heure (avancée) du premier rendez-vous de la journée, pour cause de réveil rituellement tardif, le garçon aux dreadlocks, bracelet, bagues, anneaux d'oreille, piercing (sous la lèvre inférieure) et tatouages (nombreux, mais cachés comme des «petits secrets qu'il serait vulgaire de dévoiler») y voit déjà clair, sans même porter ces grosses lunettes liées à son image publique et héritées d'une enfance migraineuse. Inutile de surligner la pitrerie, au moment de survoler un premier quart de siècle passé sur Terre avec, comme leitmotiv, l'ambition avérée de dérider ses semblables sans avoir l'air d'y toucher.
Six années séparent l'incertaine naissance médiatique du personnage de l'actuelle marche triomphale qui, entre autres jalons, va l'amener toute cette semaine à refaire le tour de huit lieux ayant symbolisé son ascension : Paname Art Club, Comedy Club, Point-Virgule, Grand Rex… Auxquels manqueront encore les Casino de Paris, Trianon, Cigale ou Châtelet, non moins sold out dans un récent passé ! En exhumant les images d'archives, on tombe sur un télé-crochet où, né de parents originaires du Cap-Vert, un bleu-bite en blouson rouge se fait sermonner, tel un galopin convoqué chez le proviseur, par l'animateur Laurent Ruquier et son assesseur, le comédien Jean Benguigui, devant qui il vient de jouer un sketch. «C'est encore fragile, vous pouvez progresser», dit l'un. «Ce jeune homme a beaucoup de choses à apprendre», enchérit l'autre, ajoutant ambigument «oubliez votre couleur, Fary», assorti du reproche préalable d'avoir fait venir des potes mal embouchés dans le public.
L'émission s'appelle On n'demande qu'à en rire, mais la séquence n'a rien de drôle. C'est pourtant le même galéjeur qui, en mai dernier, sur un autre plateau télé siglé Ruquier, fait un tabac à Cannes, dans une chronique qui taille un costard à la faune people du Festival, sur un mode incisif caractérisé par un style consistant pourtant à ne jamais hausser le ton. A propos de Woody Allen et Roman Polanski : «On est quand même dans un monde où, quand on fait des vannes sur un réalisateur accusé de viol, on doit préciser lequel !»
«Fary is the New Black», claque le slogan des affiches publicitaires. Mais circonscrire à la lucarne l'«homme le plus drôle de France», d'après la revue Society, serait d'autant plus infondé qu'il ne jure que par la scène. Là où il se sent «fou amoureux» d'un métier, défendu comme «un art permettant d'analyser la société avec une pointe de philosophie et de poésie, qui requiert un boulot de dingue. A l'instar de Picasso qui, griffonnant un dessin afin de payer un resto, explique au patron qu'il lui a fallu des années pour réussir à le faire en cinq minutes».
«Fary fait partie de ces gros bosseurs, capables d'une remise en cause permanente, corrobore son coreligionnaire Mathieu Madenian, qui salue la montagne d'effort nécessaire pour «paraître sûr de soi et donner l'impression au public que tout est facile». Le phrasé, comme le look étudié de fashion victim archi -consentante n'y sont pas étrangers. Tout comme l'écriture, agile, qui permet de taquiner un public jeune et mixte, sur des thèmes comme l'homosexualité, l'esclavagisme ou (plus convenu) les réseaux sociaux, sans frapper au-dessous de la ceinture. Ni s'aventurer sur le terrain politique, tout en concédant hors plateau une indécision guère enjouée, actuellement circonscrite à la rime Hamon/Macron. «Pour moi, la principale vertu du rire est de créer du lien, de rassembler. Y compris quand on se moque d'autrui, il faut veiller à ne pas blesser», précise l'adepte de l'autocensure, selon qui «vexer quelqu'un signifie que la blague est ratée». Attentats, crimes, catastrophes naturelles, jusqu'aux chutes inopinées qui font s'esclaffer la galerie : très peu pour celui qui, confessant «un profond respect pour les religions sans adhérer à aucune en particulier», réprouve les caricatures de Mahomet et admet, après plusieurs secondes de silence, que Charlie ne le fait «absolument pas rire»… Pas plus qu'il ne se voit remettre un jour les pieds, comme artiste ou simple spectateur, au Bataclan - «Déja que je fais mon maximum pour ne jamais passer devant…»
Titillé très tôt par «la volonté d'être différent», Fary Lopes a d'abord tapé dans l'oreille d'une prof d'histoire-géo qui, bluffée par son abattage, coécrit le premier «one» de son élève de seconde. Auxiliaire en puériculture, sa mère cautionne la vocation - tandis que le père, technicien du froid atteint par le mal du pays, s'éclipse de longues années durant. Et, bien que modeste, le quotidien banlieusard tel qu'appréhendé depuis Saint-Maur-des-Fossés (Val-de-Marne) - où il réside toujours, mais «du côté des riches» - laisse de bons souvenirs d'enfance, entre petit frère, cousins des cités et événements communautaires où il fait ses gammes.
Scènes ouvertes, Comedy Club, appui des producteurs Jean-Marc Dumontet et Kader Aoun, qui tirent en France les ficelles du stand-up… tout sourit aujourd'hui à l'oiseau de nuit, qui veille pourtant à ne dégainer une vanne que s'il estime «avoir quelque chose de drôle à raconter». Tout, ou presque, tant le volet sentimental n'inspire aucune pirouette, au moment de mentionner «la fin d'une histoire qui a duré huit ans, avec quelqu'un à qui on ne peut pas éternellement promettre de réussir à être fidèle un jour». «Heureusement qu'il reste l'humour», ajoute le «cœur brisé» un peu en pilotage automatique. Sans donner l'impression d'en être lui-même pleinement convaincu.
7 juillet 1991 Naissance à Paris.
2002 Première scène.
2007 Coécriture du premier spectacle avec sa prof d’histoire-géo.
2010 Rencontre avec Kader Aoun.
2016 Spectacles au Châtelet, un «grand rêve».
Février 2017 Tournée (entre autres) dans huit salles parisiennes.