Le recensement ? Il ne passera pas par Issoudun. André Laignel, le bouillonnant maire PS de cette deuxième commune de l'Indre en nombre d'habitants, en a décidé ainsi. Selon lui, le mode opératoire de l'Insee est défaillant. «Dès l'origine du nouveau recensement, il y a quatorze ans, j'ai contesté la méthode, explique-t-il. Avant, il y avait un recensement général tous les neuf ans. Là, pour les communes de plus de 10 000 habitants, ils sondent 8% de la population chaque année avec les marges d'erreurs et d'approximation que l'on devine.»
Depuis 2012, Issoudun voit ainsi sa population décroître annuellement d'environ 1,5%. Une situation qui impacte directement les finances locales par le biais de la dotation globale de fonctionnement (DGF), enveloppe allouée par l'Etat aux collectivités locales en fonction, notamment, du poids de la population. «J'observe une distorsion entre les données Insee et la réalité du terrain», pointe le maire qui assure que le nombre d'enfants scolarisés et les taxes d'habitation perçues demeurent à un niveau stable. Du coup, le numéro 2 de l'Association des maires de France (AMF) propose de financer pleinement un recensement total de sa population, au risque d'être désavoué par les résultats. «De nombreux maires sont critiques et partagent mes vues, mais ils n'ont pas forcément la démarche qui est la mienne. Ils râlent, mais rentrent dans le rang comme des bons bougres», regrette Laignel.
Quatre précédents
Du côté de la préfecture, on observe ce bras de fer avec une étonnante bienveillance. «Les remarques de M.Laignel sont toujours utiles et explicables, défend Seymour Morsy, préfet de l'Indre. Nous allons essayer de rebattre les cartes fin mai pour l'année suivante.» Et pour le recensement en cours ? «Nous allons voir dans quelle mesure on peut le réaliser, mais à ce stade et sans précédent notable, je ne connais pas la suite possible…»
Des précédents, l'Insee en a trouvé quatre depuis l'instauration du nouveau recensement, dont Montreuil et Sevran, en Seine-Saint-Denis, qui s'étaient finalement rangés derrière ce calcul. «Si le maire d'Issoudun campe sur ses positions, la loi donne le pouvoir de réquisition au préfet», précise Lionel Espinasse, chef de la division recensement à l'Insee. L'article 156 de la loi de 2002 relative à la démocratie de proximité indique effectivement que «dans le cas où une commune refuserait ou négligerait d'accomplir cette mission, le représentant de l'Etat dans le département peut, après l'en avoir requis, y pourvoir d'office».
Connu pour ses coups de gueule
Mais le préfet tient à y apporter une nuance. «Il faut que tout le monde se parle et c'est ce à quoi je m'emploie. Si nous ne trouvons pas d'accord, je veillerai à mobiliser des agents en lieu et place de la commune censée effectuer cette mission et qui perçoit, pour cela, des financements», explique Seymour Morsy. En d'autres termes, le haut fonctionnaire n'a pas de moyens coercitifs pour faire plier le turbulent André Laignel, connu pour ses coups de gueule. «Je suis dans mon rôle en tenant tête à l'Etat», insiste l'ancien secrétaire d'Etat à la Ville sous François Mitterrand. «Je défends l'intérêt de ma commune et de ses habitants en exigeant que l'Etat riche cesse de me prendre de l'argent à moi qui suis pauvre. Etre cette sorte de Robin des Bois ne me déplaît pas», s'amuse-t-il.
De ces considérations chevaleresques, l'Insee n'en a cure. L'institut se borne à dire «la loi et rien que la loi». «Le nouveau recensement est effectué en partenariat permanent avec les communes. Nous n'aboutissons pas, au bout de cinq années et après avoir sondé 40% de la population locale, à un chiffre sorti du chapeau, rappelle Lionel Espinasse. Ces résultats, qui ont pour part une force légale, seront traités par la Direction générale des collectivités locales (DGCL) et Bercy.»
«Croisement»
En attendant la décision du maire, qui ne semble pas vouloir lâcher le moindre décamètre carré de territoire, les résultats du recensement partiel d'Issoudun et, par extension, de l'Indre, puis de la région Centre-Val de Loire, pourraient bien être entachés de sévères approximations. «Dans ces villes, le calcul de la population résulte d'un croisement de données exhaustives sur le nombre de logements existants, le nombre moyen d'habitants par logement et de l'enquête statistique annuelle, rassure-t-on à l'Insee. Si le maire n'obtempère pas, la part statistique n'aura pas d'incidence dramatique sur les résultats globaux.»
Le recensement, qui a débuté le 19 janvier dans les communes métropolitaines de plus de 10 000 habitants, doit s’achever le 25 février. Partout, sauf dans ce petit village gaulois de la Champagne berrichonne.