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Comment ça va le commerce ?

A Saint-Ouen, le pari d'un restau au milieu des fast-food

Comment ça va le commerce ?dossier
Jean-Nicolas Schwartz a totalement changé de métier pour ouvrir le Soleil du Vietnam, qu'il n'imaginait pas ailleurs qu'à Saint-Ouen.
Jean-Nicolas Schwartz, au restaurant le Soleil du Vietnam à Saint-Ouen. (Photo Remy Artiges pour Liberation)
publié le 14 février 2017 à 15h08

Libération ausculte les réalités de la vie commerçante à travers des portraits dans toute la France. Aujourd'hui, un restaurateur de Saint-Ouen.

Au 49 de la rue du docteur Bauer, entre les métros Mairie de Saint-Ouen et Porte de Clignancourt, un restaurant attire l'œil, coincé entre une boulangerie et une carrosserie. Grand prince, Jean-Nicolas Schwartz, 48 ans, nous accueille au Soleil du Vietnam sur un air de reggae, Alpha Blondie en boucle, avec du champagne en guise de nectar. Sa gouaille fait l’effet d’un bon film façon Michel Audiard. Le verbe est le prolongement brut de sa pensée.

Fin 2012, après quatorze ans chez Bouygues, un plan de départ volontaire se profile. Il y voit «l'occasion de faire autre chose». «Je suis parti à Madagascar, dans le pays de mon épouse. Je comptais m'y installer avec elle.» Sauf que sa «moitié» voulait rester en France avec leur enfant de 12 ans et exercer encore un peu son métier de femme de ménage. De retour de vacances, Jean-Nicolas se retourne donc vers des amis originaires du Vietnam. «Beaucoup étaient en dilettante. Ils n'arrivaient pas à se fixer dans un job. Moi j'avais quelques sous. On a décidé ensemble d'ouvrir un restaurant.» Le licencié à l'amiable pose alors une condition : Saint-Ouen ou rien. «C'est une ville qui avait une mauvaise image à l'extérieur à cause de la drogue. Les médias la décrivent comme un Marseille bis. Moi j'y vis depuis douze ans et je m'y sens très bien. Mon fils y est scolarisé.»

Gentrification

L'affectif rejoint le pragmatisme et le flair de l'entrepreneur. En 2013, la ville à la porte de Paris déborde de fast-foods (McDonald's, Quick, Pizza Hut…). Le pari est simple : proposer quelque chose de différent et sortir de la «kébabisation». Le créneau est tout trouvé : «Ouvrir un très bon restaurant dans la ville, sans que les gens soient obligés d'aller à Paris.» En avril, le Soleil du Vietnam voit le jour. A la même époque, un japonais ferme au profit d'un Naturalia, sur l'avenue Garibaldi à proximité du métro du même nom. A deux pas du restaurant, un chinois ferme aussi au profit d'une banque. Gentrification oblige. Jadis communiste, la voisine de Saint-Denis est passée à l'UDI (centre droit) lors des élections municipales de 2014. «Une grande mutation s'est enclenchée. Je ne suis pas dans une perspective purement mercantile, mais il est inutile de nier que cette dynamique m'a été profitable.» Depuis, plusieurs restaurants branchés, au design épuré, avec un chef réputé ou à la musique jazzy, creusent le filon.

Après bientôt trois ans d'existence, le Soleil du Vietnam se fond sans ostentation dans le paysage. Les Audoniens aiment s'y retrouver. Jean-Nicolas Schwartz a un mot et une attention délicate pour tous. Les formules du midi vont de 11 à 14 euros. A la carte, l'entrée-plat ou le plat-dessert sont à moins de 20 euros. L'apéritif et le digestif sont souvent offerts par la maison. «De quoi se remplir le ventre et ressortir éméché pas cher un vendredi avant d'enchaîner en soirée», lâche un habitué. A midi, sa clientèle est à 80% composée de personnes qui travaillent dans le coin : employés, commerçants, artisans etc. Le soir, elle est composite. «C'est très mélangé en termes d'origines et de classes sociales, Saint-Ouen quoi ! On a des prolétaires avec peu de moyens mais qui veulent se faire plaisir. Des gens plus aisés et beaucoup d'artistes.» La promesse de vente est la suivante : authenticité. «Notre restau n'est pas un "spécialités asiatiques" ou un "Thailando-vietnamo-sino-japonais". On fait ce qu'on sait faire.» Monsieur Schwartz a cinq employés, tous originaires du Vietnam.

Des salaires au menu

Jean-Nicolas Schwartz est président d'une SAS (Société par actions simplifiées). Salarié, il gagnait mieux sa vie et ses journées étaient plus courtes. «Je travaille environ soixante heures par semaine. J'ai beaucoup de responsabilités et moins l'occasion de partir en congés.» Des contraintes qu'il a apprivoisées. Celui qui est au petit soin avec ses clients aimerait se défaire de l'étreinte des charges salariales et patronales, notamment. En 2016, il a pour la première fois augmenté de 4% ses employés. «C'est ridicule. Ils ne touchent pas le salaire qu'ils méritent.» Le gérant appréhende également une réglementation européenne demandant de spécifier sur les cartes toutes les contre-indications (allergies, intolérances etc.) pour chaque mets. La mort de l'art culinaire selon lui. «Ici nous sommes dans un cadre familial, mes clients connaissent leurs allergies. On en discute et moi je les oriente en fonction dans les plats, ou je demande aux cuisiniers de s'ajuster quand c'est possible. Et puis mes cartes ne sont pas destinées à être des romans !», explique-t-il, ne s'imaginant pas refaire de nouvelles cartes. Tandis que d'autres commerçants ont des idées précises sur le candidat à élire, le restaurateur fait partie d'une gauche indignée, qui voit la politique comme un projet, une vision. Et non pas un bulletin de vote dans l'urne.

L'avenir ? Jean-Nicolas voit son Soleil darder ses rayons apaisants sur Saint-Ouen pour longtemps encore. La même ambiance, garder ce «joyeux bordel entre quatre murs». Sauf qu'à moyen terme, ce sera sans lui. Il passera le flambeau. Le repreneur devra garder les mêmes recettes pendant que lui et sa femme s'envoleront vers d'autres cieux, car le rêve reste malgache.