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Libération
Disparition

Roger Knobelspiess, légende de l’injustice passée à la littérature

L’auteur-braqueur, mort dimanche, fut victime d’une erreur judiciaire en 1972. Arrestations, libérations et grâce auront nourri ses écrits.
A sa sortie de la prison de Melun, le 6 novembre 1981, après la grâce présidentielle. (Photo P. Siccoli. Gamma-Rapho)
publié le 20 février 2017 à 20h46

C’est l’histoire d’un coup à 800 francs. Pour un coût de quinze ans. Le 4 mars 1972, Roger Knobelspiess a 25 ans lorsqu’il écope de cette lourde peine pour avoir braqué une station-service. Il aura beau nier le vol, fournir un alibi, la cour d’assises de l’Eure, peu sensible à ses récriminations, l’envoie directement derrière les barreaux. De cette injustice naît une révolte qui ne s’éteindra plus.

En 1976, lors d'une permission de sortie, Knobelspiess prend la poudre d'escampette et commence sa carrière de braqueur. Pour de bon, cette fois. La police le rattrape, la justice le convoque. A l'issue de son procès devant les assises de Seine-Maritime, Roger Knobelspiess est condamné à cinq ans de réclusion criminelle pour cette série de hold-up en cavale. Néanmoins, chose exceptionnelle, le président de la cour demande «l'octroi au condamné d'une mesure de grâce présidentielle». Une semaine plus tard, en novembre 1981, François Mitterrand exauce ce vœu. Pour les uns, Knobelspiess devient l'emblème de l'erreur judiciaire. Pour les autres, il est celui de la «politique laxiste de la gauche».

Durant sa décennie d'incarcération, pour ne pas perdre le fil avec l'extérieur, Knobelspiess a noirci des pages, des lettres, des livres. Il y raconte l'absurdité carcérale, l'erreur judiciaire de sa vie, le mouroir. Son livre, QHS quartier de haute sécurité, sorti en 1980, est préfacé par Michel Foucault. «Ce n'est pas le livre d'un prisonnier sur la prison en général : il vient d'un point névralgique du système pénitentiaire», estime-t-il. Knobelspiess devient ainsi une figure du «taulard-écrivain», voyou-pourfendeur des erreurs judiciaires et de l'enfermement. Il écrit dans une lettre : «Mon stylo, c'est ma vie bafouée, mon encre, c'est mon sang martyrisé, mon talent, c'est ma tête relevée.» Son ami Wolinski lui dédiera un croquis. On y voit deux personnes hurlant devant le mur de la prison : «Libérez Knobelspiess». L'intéressé leur répond de fond de sa geôle : «Faites pas chier, j'ai pas fini d'écrire mon livre

«Coulés à vif»

Dans les années 80, Knobelspiess, sorte de «vagabond des étoiles» de Jack London, prendra aussi la plume dans Libération pour dénoncer le quotidien des détenus «coulés à vif dans des tombeaux de béton» ou interpeller les pouvoirs publics. «Il est terrible ne fût-ce que d'écraser un seul homme… Mais nous sommes des milliers à qui vous ôtez paroles et cris. Imposant la souffrance naturelle, arrachant à la nature humaine ses racines, ses fibres, ses émotions. Lamento d'une minorité gémissante», écrit-il le 10 juin 1981. Le détenu entame une grève de la faim, se coupe une phalange et l'adresse à ceux qui ont mutilé sa vie, réclame la révision de son procès. En retour, on l'enferme au mitard.

Son combat pour la liberté fédère de nombreux intellectuels parisiens : Claude Mauriac, Claude Manceron, Jean Genet, André Glucksmann, Yves Montand, Simone Signoret, Léo Ferré… Ou encore, Jacques Higelin, qui composera en 1988 la Ballade pour Roger. «J'peux plus dormir. J'peux plus rêver. Je ne suis pas sûr demain de me réveiller», dit la chanson. La grâce présidentielle aurait pu marquer l'épilogue de l'histoire judiciaire. Cependant, après sa remise en liberté, Knobelspiess va «trébucher sur le chemin de la vie», comme disent ses amis. On l'accuse d'avoir participé à une fusillade contre deux gendarmes à Elbeuf en 1982. Puis d'avoir attaqué un fourgon blindé à Palaiseau en 1986, crime pour lequel il sera acquitté. Par contre, il reconnaît avoir participé à un hold-up à Thuir (Pyrénées-Orientales) en 1989. Lors du procès, sa compagne, l'actrice rohmérienne Marie Rivière tente de convaincre les jurés : «Je vous supplie de ne pas en rajouter.» Elle sera entendue, la cour prononce la confusion des peines.

Seconds rôles

Dans ses ouvrages, il raconte aussi son existence cabossée qui a commencé en 1947, dans un taudis à Elbeuf, une ville ouvrière de la banlieue de Rouen. Elevé dans un baraquement insalubre par des parents violents et alcooliques, celui que ses camarades de classe surnomment «Klop» ou «Mégot» va, chaque jour, avec ses sept frères et sœurs à la soupe populaire. La fratrie est tenue par l'homme de la maison qui initie sa tribu au vol de poules. «Tonton [son père, ndlr] bandait pour la nuit. La nuit, la cambriole, la nuit, le chapardage et même le travail. Mais il avait constamment son idée à lui. Dans la journée, il y pensait. Le soir venu, Jean et moi, on le regardait sortir avec la pouche à charbon. On attendait qu'une chose, qu'il nous demande d'aller aux poules avec lui», se souvient-il dans Voleur de poules. Pour mieux comprendre comment il passe «du quartier de misère au quartier haute sécurité».

Au total, Knobelspiess aura passé vingt-six ans à l'ombre dont huit en quartier haute sécurité. Libéré en 1990, ses mauvais coups, il ne les fera plus qu'en littérature ou au cinéma, avec des seconds rôles chez Jean-Pierre Mocky ou Bertrand Tavernier. Sans que la cicatrice carcérale ne se referme. En 2012, il menaçait encore de se trancher un doigt si François Hollande ne rétablissait pas les grâces présidentielles du 14 Juillet… Dimanche, à l'âge de 69 ans, il est, lui aussi, «entré par effraction dans l'éternité», selon les mots qu'il dédiait à son ami Jacques Mesrine.