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Libération
Témoignage

Ghaleb Bencheikh : «On ouvrirait la boîte de Pandore»

Le contexte n’est pas favorable et il n’y a pas de demande en ce sens, estime Ghaleb Bencheikh, islamologue et producteur de «Questions d’islam» sur France Culture.
publié le 21 février 2017 à 19h16

«Parler maintenant de ces deux jours fériés musulman et juif ne me paraît pas propice ni probant. Essentiellement à cause du contexte dans lequel nous nous trouvons. Les questions liées au religieux suscitent beaucoup de polémiques et il est de plus en plus difficile de les examiner à froid. Ouvrir ce débat risquerait de susciter un énième bras de fer. Et c’est la composante islamique de la nation qui en pâtirait.

«D’ailleurs, je ne crois pas qu’il y ait une réelle demande parmi les citoyens musulmans de ce pays, pas plus que chez nos amis juifs. Ce n’est pas leur priorité. Ils sont davantage préoccupés par le niveau du chômage, par la situation sociale. Grosso modo, des modus vivendi ont d’ailleurs été trouvés, me semble-t-il, dans l’Education nationale et dans la fonction publique, voire dans les grandes entreprises. Reste sans doute à traiter la question dans les autres entreprises privées.

«Il serait équitable effectivement, d’un strict point de vue juridique, d’attribuer des jours fériés aux différentes confessions religieuses de la France. Car il n’est pas légitime qu’une seule composante de la nation (chrétienne, en l’occurrence) soit privilégiée. Mais en faisant cela, on ouvrirait la boîte de Pandore. Pourquoi ne pas alors créer un jour férié bouddhiste et puis ensuite un jour férié hindouiste ? Par mimétisme, un activisme religieux suscite toujours un autre activisme religieux. Et comment multiplier, d’un point de vue économique, les jours chômés ! En paraphrasant le général de Gaulle, je dirai que la France vient du fond des âges, que son identité s’est sédimentée sur une roche mère qui est chrétienne. Puis sur celle-ci, des traditions, juive et musulmane, sont venues se superposer pour la consolider. D’autres courants de pensée, eux aussi, y ont bien sûr contribué ! On l’oublie trop. Dans notre pays, les racines chrétiennes sont là. C’est indéniable. La toponymie des lieux en témoigne. Mais il serait stupide, comme le proposent certains, de les inscrire dans la Constitution. En fait, il y a souvent une vision mutilante de l’histoire et les apports islamiques, je crois, sont occultés.

«Mais tels qu’ils existent aujourd’hui, les jours fériés sont une tradition. Et je le répète : il faut tenir compte du contexte. Ce n’est pas de la frilosité ! De mon point de vue, c’est une question de bon sens que de laisser les choses en l’état. L’intelligence sociale consiste à admettre qu’il y a des moments propices et d’autres pas. Combien même la grandeur d’une nation et le génie d’un peuple se révèlent dans l’adversité… Après les années horribles de 2015 et 2016, la France est une nation encore en souffrance, résiliente. Cet été, les provocations autour du burkini ont encore avivé les tensions. On peut, bien sûr, toujours se cramponner au droit. Mais attendons que les esprits s’apaisent… Car, au final, on trouve toujours plus radical que soi.»