C’est un signe qui ne trompe pas. Mardi 14 février, Manuel Valls n’a pas regardé le match au sommet de la Ligue des champions opposant le Barça et le PSG. Totalement déconnecté, en vadrouille incognito entre Madrid et Séville avec ses enfants, l’ancien Premier ministre n’a donc pas assisté à la déroute de son équipe fétiche, qui s’est fait étriller 4-0 par le PSG quinze jours après sa propre défaite à la primaire de gauche. De retour à Paris depuis la fin de la semaine dernière, Manuel Valls n’a cependant jamais coupé totalement le fil avec son entourage politique proche, se tenant au courant par portables interposés des grandes comme des petites manœuvres présidentielles à gauche. Avant de décoller pour l’Espagne, l’ex-chef du gouvernement a multiplié les agapes en petits cercles pour donner ses consignes.
Dès le lendemain du deuxième tour, lundi 30 janvier, ils sont une quinzaine réunis à l'Escudella, un restaurant catalan du VIIe arrondissement, à quelques mètres du QG de campagne de François Hollande en 2012. Autour de la table, surtout des collaborateurs de Beauvau et de Matignon, peu d'élus à part Didier Guillaume, directeur de campagne pendant la primaire et Carlos da Silva, son suppléant à l'Assemblée devenu depuis son assistant parlementaire. En famille ou presque, Valls demande à ses collaborateurs ce qu'ils veulent faire pour la suite, fournit des numéros et passe quelques coups de fil pour accélérer les reconversions professionnelles à venir. Sa plume, Benjamin Djiane, est d'ores-et-déjà investi par le PS sur la 8e circonscription des Français de l'étranger, qui va de Rome à Jérusalem. Le lendemain, Valls joue une partition bien plus politique, demandant aux 250 élus réunis à la Maison de la Chimie de «rester groupés». «Vous ne serez pas forcément bien accueillis ailleurs, surtout si vous êtes divisés», intime Valls, qui entame sa longue mue de candidat déchu en chef de file des progressistes au sein d'un PS ayant mis la barre à gauche.
Exemplaire avec Hamon
Car cet «ailleurs» dont Valls parle, c'est le mouvement d'Emmanuel Macron, En marche. Au deuxième tour de la primaire, 800 000 sympathisants de gauche se sont tournés vers l'ancien ministre de l'Intérieur, qui n'a pas l'intention d'offrir ce magot électoral à l'ancien ministre de l'Economie. Si, après ses multiples zig-zag, Macron choisissait de revenir durablement vers la gauche, il serait le principal rival sur le créneau «social-réformiste» pour les années à venir. Du coup, parmi les élus vallsistes, certains sont prêts à donner plus qu'un coup de main à Benoît Hamon malgré l'amertume de la défaite. «Ils savent ce qu'une victoire de Macron signifierait pour leur chef», analyse un conseiller de l'exécutif, que ce soit pour la recomposition de la gauche ou la présidentielle de 2022. A ses plus proches amis politiques, Valls a demandé d'être exemplaires vis-à-vis de Hamon : «si on vous demande des notes, rédigez-les». Il a toutefois demandé à ses ouailles de le prévenir s'ils étaient contactés par l'équipe du candidat.
Que le sénateur Luc Carvounas ait accepté de présider le conseil parlementaire de Hamon nourrit la rancœur d'une grande partie des vallsistes. Mais ce mercredi, l'ancienne porte-parole de campagne de Valls, Elsa di Méo, ainsi que le président du département de l'Aude, André Viola, ont à leur tour rejoint le «conseil politique» du candidat. «Il est très légitimiste : pour lui il y a un candidat investi par le parti et il faut aider ce candidat», confirme une proche. «Il ne veut pas apparaître comme un commentateur perturbateur et revanchard», souligne Francis Chouat, son successeur à la mairie d'Evry. Du coup, l'idée un temps évoquée d'un nouveau rassemblement de ses soutiens le 7 mars a été enterrée : cela aurait été perçu comme un acte d'agression contre Benoît Hamon.
En revanche, le premier cercle a discrètement rendez-vous mardi 28 février au soir à l'Assemblée pour retrouver Valls et parler de la campagne et du reste. «Il est très préoccupé par la montée de l'extrême droite et se réserve le droit d'intervenir sur ce sujet dans la campagne», glisse un proche. Vendredi, il sera de retour sur la scène nationale vendredi à Orléans, où il doit assister aux obsèques du président de la FNSEA, Xavier Beulin.
Analyser l'échec
Après l'Escudella et la Maison de la chimie, Manuel Valls enquille les repas politiques, en attendant que ses enfants soient officiellement en vacances. Il préside un déjeuner au Sénat en présence d'une brochette de ministres, de Jean-Jacques Urvoas à Laurence Rossignol, avant d'être reçu par Claude Bartolone à l'Hôtel de Lassay. «J'aime la politique, je ne quitte pas le Parti socialiste», répète-t-il comme un écho à son discours du 29 janvier après sa défaite. «Ne jamais baisser les bras ou céder au découragement, s'engager, perdre, gagner, c'est la noblesse de la politique [...]. Je continuerai à donner pour la France et pour chacun d'entre vous», avait alors promis Valls, prêt à se «réinventer». Car «les regards n'ont pas changé sur moi», a-t-il admis depuis devant son premier cercle.
Dans ces cénacles, Valls commence doucement à faire l'analyse de son échec face à Hamon. Notamment ses propos anxiogènes sur la guerre, les migrants ou l'implosion de l'Europe. Avant même les fêtes de fin d'année, faisant un rapide bilan de ses trois premières semaines de campagne compliquées, il reconnaissait que son annonce de la suppression du 49.3 avait été prématurée, mal préparée et donc mal comprise. En fait, «il est passé plus vite que les Français du stade de Premier ministre à celui de candidat», analyse le député Olivier Dussopt. «Peu d'hommes politiques ont cette force d'autocritique et d'analyse. Manuel Valls a une énorme distance vis-à-vis de lui-même», salue la ministre Pascale Boistard. Selon Francis Chouat, la réflexion de Valls porte en réalité moins sur la primaire que sur ce quinquennat «malmené» qui se termine, sur le manque de pédagogie au sommet ou sur son passage à Matignon où «il a surtout bataillé contre son camp». «Tout ça trotte dans sa tête, confirme l'édile. Le retour sur expérience n'est pas terminé mais il a surtout le souci de l'avenir». On avait cru comprendre.