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Artistes engagés en campagne, ça l’affiche mal

A l’image de Christine Angot, qui a appelé Hollande à se représenter, la tradition veut que les célébrités s’engagent tous les cinq ans pour un candidat. Mais cette stratégie n’a jamais prouvé son efficacité.
publié le 26 février 2017 à 20h16

Cela ne fera pas changer d'avis Hollande. Mais c'était quand même gentil de la part de Christine Angot. Dans le Journal du dimanche, l'écrivaine s'est fendue d'une ode au Président, l'enjoignant de revenir sur sa décision de ne pas se représenter : «Vous ne pouvez pas quitter le navire comme ça. Il faut que quelqu'un fasse quelque chose, et il n'y a plus que vous.» Angot à la tête d'un comité de soutien à Hollande candidat, cela aurait eu de la gueule. Plus que, début février à Lyon, la présence de Geneviève de Fontenay au meeting de Macron ou celle de Franck de Lapersonne au raout de Le Pen.

Des célébrités aux côtés des candidats à la présidentielle, la tradition est ancienne. «Depuis les années 30, c'étaient souvent des compagnons de route du PCF, raconte Jamil Dakhlia, chercheur en sciences de l'information et de la communication. Mais en 1974 avec Giscard, cette pratique s'étend à la droite.» Le candidat est jeune, moderne - pense-t-il - et veut le faire savoir. A Mitterrand, Juliette Gréco ou Michel Piccoli ? A lui Johnny Hallyday, Danièle Gilbert, Chantal Goya ou encore Brigitte Bardot en tee-shirt «Giscard à la barre». Des vedettes de la culture populaire plus que des artistes engagés. C'est un tournant : les soutiens ne sont plus seulement présentés comme une source d'inspiration, ils forgent son image. Ainsi, quand Nicolas Sarkozy s'entoure en 2007 de Jean-Marie Bigard, Enrico Macias, Tina Arena ou Mireille Mathieu, il veut montrer qu'il est le candidat des classes populaires. «Quand Sarkozy met en avant le soutien de Faudel, c'est un message clair en direction des banlieues, même si Faudel ne les représente pas vraiment», note Jamil Dakhlia.

«Non, je blague…»

Steevy Gustave, producteur et ex-adjoint (divers gauche) au maire de Brétigny-sur-Orge (Essonne), avait ouvert son carnet d'adresses pour la campagne de François Hollande en 2011. Il raconte : «Les artistes représentent telle ou telle population. Les rappeurs que je vais chercher par exemple, ils sont des haut-parleurs pour les quartiers.» Pour autant, la communicante Nathalie Mercier, qui a participé à l'organisation du meeting de Hollande au Cirque d'hiver en mars 2012, précise que rien n'était «conçu» pour «ratisser les artistes». «On avait simplement envoyé des invitations à des personnalités.» Steevy Gustave : «Ça se fait dans les deux sens, le staff de campagne qui va chercher des artistes et l'inverse.»

Cette fois, les people ne se bousculent pas au portillon. Lors des primaires, il y a bien eu le «cas Bedos» (annoncé chez Montebourg), le soutien de Didier Barbelivien à Sarkozy, celui de Sanseverino à Jean-Luc Bennahmias, ou encore Jacques Weber, Céline Sallette, Gérard Miller, Romane et Richard Bohringer qui ont été vus à des meetings de Jean-Luc Mélenchon…

Si Valérie Donzelli a été la chauffeuse de salle pour Benoît Hamon avant la primaire, le candidat expliquait début décembre, à propos de sa liste de soutiens : «Elle sera composée de sportifs de haut niveau, d'acteurs… Non, je blague… Il y aura dupeople de la vraie vie.»De fait, la tendance est plus aux comités citoyens. Ainsi retrouve-t-on dans l'organigramme de l'équipe de campagne de François Fillon un conseil national de la société civile constitué de personnalités qui travailleront sur des thématiques et mobiliseront des acteurs de leur secteur.

Pas si étonnant dans une campagne qui fleure l'austérité. D'autant que l'utilité réelle des soutiens célèbres est pour le moins discutable. Si aux Etats-Unis il a été démontré qu'Oprah Winfrey avait aidé Obama dans les urnes, la manœuvre peut aussi être contre-productive. «Ça a par exemple renforcé l'image de Clinton comme candidate du système, loin de ceux qui souffrent», relève Arnaud Mercier, politologue à l'université de Lorraine.

«Tous gauchos !»

En France, «la campagne de Sarkozy en 2007 avait renforcé son image bling-bling. Et en s'affichant avec des vedettes, on entretient l'idée de caste», selon le chercheur Jamil Dakhlia. Caste régulièrement dénoncée, par le FN qui, mis à part Brigitte Bardot s'affichant dans les bras de Florian Philippot, a du mal à s'attirer les faveurs des artistes. Une faiblesse transformée en atout : «Aucun comité de soutien n'est prévu, explique à Libération Sébastien Chenu, président du Collectif culture libertés et création monté par le parti. Ce n'est ni utile ni nécessaire. Le système du show-business qui décerne des médailles de bien-pensance…» Ce positionnement n'est pas propre au FN. Le 10 janvier, interrogé par Guillaume Meurice sur le peu d'artistes qui soutiennent Fillon, l'élu LR Alain Marsaud s'écriait : «Mais tant mieux ! Les artistes sont tous gauchos. Qu'est-ce que vous voulez qu'ils viennent faire là ?» Fermez le ban.

Les artistes eux-mêmes semblent d'ailleurs réticents à s'engager. «Quand on voit le niveau de popularité des politiques, on peut se dire qu'il n'y a aucun intérêt à s'afficher, explique le politologue Arnaud Mercier. Il y a aussi chez eux, comme pour le reste de la population, une certaine déception… L'engagement passe plus par le social, l'associatif.» Certains soutiens de Hollande ont été échaudés, selon Steevy Gustave : «On avait la photo du rappeur, celle du chanteur de zouk, on a la banlieue, l'outre-mer, et hop, ça s'arrête là. Des artistes me disent qu'ils sont sollicités mais ils n'ont plus envie.»

L'offre politique de cette campagne pourrait toutefois en convaincre certains, selon Arnaud Mercier : «En 2002, il y avait eu une énorme mobilisation contre Le Pen. Là, en plus de l'extrême droite, on a un candidat de droite qui assume une position très conservatrice. Ça devrait pousser un certain nombre d'artistes à s'engager.»