Menu
Libération

«Marcheurs» : l’espoir d’une concurrence libre et non faussée

Le flou régnant dans la sélection des aspirants députés pro-Macron crée des tensions dans certaines circonscriptions.
publié le 26 février 2017 à 20h16

Sur son bureau, un livre titré Sapiens, une brève histoire de l'humanité et des magazines de jogging : littérature du «marcheur» aspirant député. Comme des milliers d'autres, Frédéric Nahon, 49 ans, - «jamais encarté ni élu depuis mes fonctions de délégué de classe» - a envoyé sa candidature à la commission d'investiture du mouvement de l'ex-ministre de l'Economie. La démarche a demandé à ce consultant spécialisé dans la robotique chirurgicale plus qu'un simple clic : quinze jours d'écriture et un cheminement personnel. «J'ai toujours eu la politique dans un coin de ma tête, mais ma femme m'avait dit il y a vingt ans que si jamais je me lançais, elle divorcerait», dit cet indépendant d'abord tenté par le profil de Nathalie Kosciusko-Morizet. Macron a été «une révélation qui s'est imposée» à lui. S'il sait sa circonscription, à cheval entre le XVIIIe et XIXe arrondissement de Paris, acquise au PS, il prend sa «candidature à la candidature» au sérieux. Il a préparé ses filles à l'éventualité d'avoir son visage placardé dans le quartier et a réduit son activité professionnelle. Même si, pour l'instant, «la consigne est claire, la priorité c'est de qualifier M. Macron !» Responsable logistique de son arrondissement, il assiste à «deux ou trois» réunions par semaine, tracte les jours de marché et peste contre «certains marcheurs qui confondent bienveillance [concept cher au candidat, ndlr] et amateurisme».

Prof d'espagnol et conseillère municipale dans un village proche de Dijon, Maria Paz Fave Usach, 49 ans, n'a jamais rêvé du Palais-Bourbon. Venue à la politique locale par l'associatif, «un club d'escrime», elle est une pro-Macron de la première heure. «Plus progressiste que de gauche, mais pas centriste», elle rejoint la Gauche libre, le think tank lancé par les Jeunes avec Macron en mars 2016. Les législatives ? «J'ai d'abord pensé qu'il y aurait des gens plus compétents, plus efficaces que moi», assure-t-elle. Après la promesse de Macron d'avoir des listes paritaires, elle commence à cogiter. On lui pose la question dans le comité départemental qu'elle coordonne. «Je me suis alors dit qu'une femme de la société civile, qui s'est intégrée par le travail alors que je ne suis pas née dans ce pays, ça pouvait faire bouger les lignes.»

«Challenge». D'autres ont bien moins douté de leur légitimité. Francis Palombi, 68 ans, président de la Confédération des commerçants de France, se sent prêt à «relever le challenge» en Lozère, où il dit avoir implanté le mouvement. «J'ai tout de suite parlé à la presse locale, même si je ne veux pas donner l'impression de m'autodésigner, il y a des règles !» Les quotidiens régionaux regorgent d'articles relayant les ambitions de notables et autres retournements de veste d'élus. Encarté au PS depuis 1981, Palombi parle de ses contacts avec Macron alors «jeune ministre» à Bercy, en tant que représentant d'une organisation professionnelle. Il dit pouvoir se prévaloir d'une «certaine proximité mais rien de plus - je n'ai pas pris le melon !» Dédié «corps et âme» à la campagne, Laurent Saint-Martin, cadre financier de 31 ans et référent dans le XVIIe arrondissement de Paris, a renoncé à «sa vie privée et ses week-ends». Il est quand même parvenu à envoyer sa candidature à la commission d'investiture, après un mois de préparation. Ex-membre du think tank «progressiste» En temps réel, fondé par le banquier Stéphane Boujnah, proche de DSK et intime de Macron, il a ressorti son carnet d'adresses pour «échanger avec des parlementaires sur leur travail de tous les jours». Au risque de tomber sur un député songeant lui aussi à l'investiture d'En marche… Saint-Martin jure ne pas avoir cherché à contacter la tête du mouvement («ce serait contraire à l'esprit de cette démarche citoyenne») et ne pas se soucier des candidatures concurrentes, «au moins plusieurs dizaines» dans son arrondissement.

Tambouille. Pour autant, selon plusieurs témoignages, cette compétition interne crée de nombreuses tensions dans beaucoup de comités. La faute à un manque de communication entre les postulants. «Sous prétexte qu'on vient tous de la société civile, certains pensent qu'ils n'ont pas d'obligation à rendre public leur candidature», analyse Frédéric Nahon. Les néomilitants peuvent être choqués par les collisions d'ambitions personnelles et la tambouille électorale. On nous raconte ainsi comment une réunion parisienne s'est terminée par les pleurs d'une postulante de 20 ans poussée à «avouer» sa candidature. Laurent Saint-Martin prône la transparence dans son comité, avec des réunions entièrement dédiées à la question : «On se fait des lettres de recommandations les uns et les autres, le soutien est mutuel.» Les «marcheurs» découvrent alors que la politique ressemble furieusement à Koh-Lanta, avec l'obligation de jouer en équipe pour faire gagner la tribu tout en négociant sa trajectoire individuelle au sein de celle-ci.

Un dilemme que connaît Cyril Boulleaux, 47 ans, maire divers gauche de Villeneuve-sur-Yonne, 5 000 habitants. Cet ancien secrétaire fédéral socialiste a quitté le PS «par refus de guerres des courants» et goût du compromis avec l'opposition locale. «Macron m'a redonné envie de militer parce que sa démarche de dépassement des clivages correspond à ce que je fais dans mon agglo», dit-il. Il espère que la procédure par Internet évitera parachutages et débauchages. Pourtant, la direction parisienne du mouvement n'a pas hésité à approcher différentes personnalités politiques et médiatiques, malgré le surplus de candidatures. «On n'est jamais à l'abri de quoi que ce soit», reconnaît Boulleaux, qui veut voir parmi les candidats retenus «un vrai renouvellement». «La sincérité de la démarche d'Emmanuel Macron viendra de la force parlementaire qui portera son projet, dit Maria Paz Fave Usach. Si la liste est plurielle, paritaire, sincère, sans arrivistes, ça peut contribuer à son élection. Mais l'inverse peut le faire perdre. Les candidats seront le miroir de sa candidature.»