Pendant la présidentielle, Libération sonde, chaque jour de la semaine, des lieux différents de la «France invisible». Ce mardi, les abords du canal Saint-Martin, à Paris, avec un sans-abri.
Avec Christian, on s'est mis à parler de manifestations, à 100 mètres de la place de la République. Des questionnements basiques, du genre : «Pourquoi certaines causes réunissent à peine 50 téméraires, quand il pourrait y en avoir 100 fois plus ?» ou «Qu'est-ce que ça fait avancer concrètement ?»
Il a développé son hypothèse : «Les résultats d'une manif ne sont souvent pas immédiats. Combien de mobilisations a-t-il fallu pour rendre effective la prime de Noël ? Des années. J'ai participé à Nuit debout. 90 % de ce qui s'y est dit a l'air con. Là, maintenant, tu ne peux pas dire que ça a servi à quelque chose. Mais peut-être que…»
Dehors, il pleut et Christian est SDF. Du coup, il se dit très favorable au réchauffement climatique. On a causé des manifs, avec des digressions chaque fois que ça commençait à prendre des allures de séminaire de philo. A Nuit debout, il raconte ainsi s'être embrouillé avec des écolos. «Ils se sont fâchés parce qu'on avait collé des pancartes sur un arbre avec du scotch. Ils m'ont dit que ça l'empêchait de respirer. Mais depuis quand un arbre respire par le tronc ?» Entre lui et les écolos, c'est compliqué, même avec ceux qui n'ont plus d'étiquette. Il dit qu'il a un sérieux problème avec le bilan d'Emmanuel Cosse, ex-membre d'Europe Ecologie-les Verts et désormais ministre du Logement. «Qu'a-t-elle fait ? Rien. Puisqu'on est en période d'élections, je me dis qu'à la limite, il faudrait aussi revoter à la fin d'un mandat. Est-ce qu'un président de la République, un élu, a tenu parole ? De ce vote-là dépendrait, je ne sais pas moi… le versement d'une partie de leurs salaires ?»
Le 21 mars, Christian participera à une mobilisation, près du musée du Louvre. Les noms de 501 sans domicile fixe décédés dans la rue en 2016 seront lus à haute voix par des intervenants : «On ne met que les prénoms quand on sait que les défunts ont une famille.» Il y aura des débats, des ateliers d'écriture. Lui a un projet de bouquin, sur le mode du journal intime : «Pas quelque chose de larmoyant, je me marre tout le temps.» Sur lui, il garde un carnet où il consigne des notes et des punchlines. Il nous en a lu une, à propos d'une poule et d'un renard, avec une allusion très érotique. Avant de revenir à notre affaire de manif. «Une cause, une idée met du temps à cheminer. Mais quand elle est bonne, ça finit toujours par payer. Sur le court terme, soit ça marche au-delà des espérances, soit ça se gaufre. Il n'y a pas de logique. Regarde, moi, je suis suisse et SDF.»