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Libération
Chronique «Classe action»

A Limoges, un prix littéraire pour acquérir l'esprit citoyen

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Tous les quinze jours, «Libération» met en avant des initiatives d'enseignants motivés. Aujourd'hui, Ahmed Boufenghour, instituteur en primaire, qui a fait un joli combo en poussant ses élèves à la fois vers la lecture, le débat et le vote.
Dans une classe d'école primaire en 2014. (Photo Fred Dufour. AFP)
publié le 1er mars 2017 à 13h22

Des profs qui ont la pêche ? Il en existe plein ! Débordant d'idées et d'envie, ils enjambent les obstacles, parfois nombreux. Et tentent dans leur classe de nouvelles manières d'enseigner, en inventent ou réinventent. Parfois ça foire, parfois ça marche. Tous les quinze jours, Libération met en avant une initiative concrète dans l'Education nationale. Aujourd'hui, Ahmed Boufenghour, 46 ans, enseignant dans une école à Limoges. Il a lancé un prix littéraire qui ne cesse de s'étoffer année après année.

L'établissement. «Notre école est au cœur du quartier Val de L'Aurence de Limoges (Haute-Vienne). Comme les autres établissements du secteur, nous sommes en éducation prioritaire. Il n'y a pas de mixité, les élèves viennent de familles défavorisées, comme souvent dans ces quartiers. J'enseigne à une classe de CM1-CM2.»

L'idée. «Dans mon ancienne école, à Amiens, un prix littéraire était organisé chaque année. J'aimais beaucoup ce projet, et j'avais envie de le poursuivre. En arrivant à Limoges en 2010, j'ai commencé à l'échelle de ma classe, les élèves ont tout de suite accroché. L'année d'après, j'en ai parlé à mes collègues, ils ont adhéré, le projet est devenu collectif. Il n'a cessé de s'agrandir au fil du temps : les huit écoles du quartier, maternelles et élémentaires, participent désormais. Les classes de sixième d'un collège voisin sont dans la partie depuis l'année dernière, et un autre devrait nous rejoindre aussi. Nous en sommes à 1 600 élèves et 60 enseignants participants, ça commence à faire ! Cela crée une vraie dynamique de réseau dans le quartier, c'était le but que je recherchais au-delà de l'intérêt pédagogique. L'idée, c'est bien sûr d'amener les enfants vers la lecture, mais aussi de les faire participer à un événement culturel.

«Dès le début, j’avais la volonté d’associer la ville. C’est important, à tout point de vue. Chaque année, un salon du livre est organisé à Limoges, avec une section jeunesse. Du coup, les élèves travaillent sur des ouvrages qui sont sélectionnés pour le salon, et les enfants remettent ensuite le prix à l’auteur à ce moment-là, de manière très officielle. C’est important. La mairie nous prête aussi le matériel pour le vote : l’isoloir, l’urne… Les enfants signent la liste d’émargement, on dépouille ensuite tous ensemble. Cela permet un travail civique sur les élections, le déroulement d’un vote. Et puis, avant cette étape, il y a aussi toute la phase de l’argumentation. Après avoir lu les albums, nous débattons en classe, les élèves apprennent à exprimer leur point de vue, à savoir expliquer pourquoi ils aiment ou pas tel livre. Ils améliorent le langage oral, leur vocabulaire.»

Le résultat. «Une dynamique est lancée dans les écoles de notre réseau, c'est ce que je voulais. Un autre projet, impulsé par une collègue, est en train d'essaimer aussi : un tournoi d'échecs. J'espère qu'il va prendre, il n'y a pas de raison. Cela crée du lien entre les écoles, entre les familles, c'est une bonne chose.

«Ensuite, bien sûr, on peut toujours aller plus loin. Pour l'instant, le prix littéraire reste un travail mené à l'intérieur de chaque classe, mais on pourrait imaginer plus de ponts entre les écoles. Petit à petit. Avec mes élèves, j'ai créé un padlet [un mur collaboratif sur Internet, ndlr], pour créer du lien avec les parents, les enfants ont un support pour raconter une fois à la maison. C'est l'idée. J'ai aussi en tête de trouver un parrain pour notre prix : un écrivain reconnu de la littérature jeunesse qui pourrait intervenir dans nos classes. On verra bien. Le plus gratifiant, ce sont ces petites joies qui arrivent sans que l'on s'y attende. Quand un enfant me dit, de lui-même : "Maître, est-ce que je peux rapporter ce livre chez moi, je l'adore trop." Je m'imagine que peut-être cela lui aura donné l'envie d'autres livres ou qu'il fera la lecture le soir à ses frères et sœurs…»