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Libération
Edito

Fillon, le déni de justice

Les diatribes contre les magistrats et la position victimaire du candidat Les Républicains à la présidentielle signent une seule chose : un rejet de fait de la séparation des pouvoirs.
Paris, le 1er mars 2017. Conférence de presse de François Fillon, candidat LR (Les Républicains) à l'élection présidentielle, à son QG après sa convocation pour une mise en examen. (Photo Albert Facelly pour «Libération»)
publié le 1er mars 2017 à 16h19

On peut faire beaucoup de reproches au président François Hollande mais il y a une chose dont on doit lui savoir gré : l’indépendance de la justice. Sous son quinquennat, les juges ont été laissés libres d’aller au bout des enquêtes et des procédures en dehors de pressions politiques. Y compris quand les affaires étaient défavorables au pouvoir en place. En est témoin l’affaire Cahuzac, particulièrement gênante pour le gouvernement et qui a pourtant suivi une trajectoire judiciaire classique. Elle est même allée beaucoup plus loin que la simple condamnation du principal accusé puisqu’elle a débouché sur la création du Parquet national financier, qui manquait cruellement dans l’arsenal nécessaire à la juste lutte contre toutes les formes de délits de ce genre.

On ne peut pas en dire autant de bien des présidences précédentes, y compris de gauche. L’indépendance de la justice, qu’il s’agisse des magistrats du parquet ou du siège, a de quoi faire peur. Et pourtant, elle n’empêche pas un pouvoir exécutif de donner de grandes orientations en matière de politique pénale et garantit dans le même temps un des grands principes qui fondent une démocratie : la séparation des pouvoirs. Une séparation qui ne gêne que ceux qui veulent se soustraire à toute forme de contrôle.

Qu'on ne s'y trompe pas, quand des magistrats ou des juges «s'intéressent» à un politique, ce n'est en aucun cas un accroc dans la séparation entre les pouvoirs, c'est simplement la justice qui fait son travail dans le cadre de procédures particulièrement encadrées et sous le regard d'avocats rompus à ce genre d'exercice. La justice n'a pas besoin d'un blanc-seing du politique pour poursuivre son action. C'est dans ce type de rapport hiérarchique qu'il y aurait une brèche dans le contrat démocratique passé avec le citoyen. Et ceux qui veulent encadrer la justice, c'est avant tout à leur profit. Et ils seront toujours tentés d'en abuser.

François Fillon ne cesse de se plaindre qu’il n’est pas un justiciable comme les autres. Sur un point, il a probablement raison. Son statut de candidat à la présidence est difficilement compatible avec une application stricte de la notion de présomption d’innocence à laquelle il a droit comme chacun d’entre nous. En revanche, la procédure judiciaire dont il fait l’objet respecte une forme d’équité. Car n’oublions pas que les faits visés par la procédure (détournement de fonds publics, abus de biens sociaux, complicité et recel de ces délits, trafic d’influence…) sont extrêmement graves et que s’ils étaient avérés, ils seraient de nature à disqualifier tout homme ou femme politique au poste de président de la République.

Il n’y a aucune raison que le Parquet national financier ne soit pas saisi du dossier Fillon. Il n’y a aucune raison à opposer au fait qu’il a demandé l’ouverture d’une information judiciaire, d’autant qu’une loi votée par le Parlement faisait peser des risques de prescription dans cette affaire. Il n’y a aucune raison que le juge d’instruction ne convoque pas les principaux intéressés dans ce dossier sitôt l’information ouverte. Il n’y a aucune raison que les délais de procédure soient plus longs. Il n’y a aucune raison sauf si le pouvoir politique s’en mêle, comme il a l’air de vouloir le faire.

François Fillon, ce mercredi encore, en parlant de «viol de l'état de droit» ou «d'assassinat», et Marine Le Pen dimanche, ne cessent de se poser en victimes du système judiciaire qui voudrait empêcher le peuple de s'exprimer. Et leur candidature est en train de virer au référendum contre la justice, nous promettant jusqu'à des «purges» dans la fonction publique qui devrait donc se mettre au service d'un pouvoir exécutif. On nous annonce l'apocalypse si les juges poursuivent leur travail. Mais ce serait l'apocalypse s'ils étaient empêchés de le faire normalement. Finalement, l'enjeu de cette élection va se révéler assez binaire et assez crucial. D'un côté, ceux qui veulent mettre au pas la justice. Et de l'autre, ceux qui veulent préserver l'indépendance de la justice. On ne pourra pas dire que nous n'étions pas prévenus et que les candidats avançaient masqués.