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Libération
2017

Dispersion générale autour de François Fillon

L’appel à manifester dimanche en soutien au candidat LR parti en croisade contre la justice a fini de convaincre une soixantaine d’élus de droite de le lâcher. Alain Juppé n’exclurait plus de se présenter à la place du député de Paris, dont le domicile a été perquisitionné jeudi.
Fillon sur l’exploitation d’un viticulteur gardois, jeudi. «Je ne parle jamais en marchant, vous devriez le savoir», a-t-il lancé, envoyant paître la presse après des questions sur les défections. (Photo Albert Facelly pour Libération)
publié le 2 mars 2017 à 20h56

Sur la porte du cockpit, ça cogne de plus en plus fort. Lemairistes, juppéistes, et même sarkozystes : ils tapent furieusement pour que le pilote barricadé rende les commandes de la machine. Plus que jamais, le drame du pilote suicidaire entraînant dans la mort tous les passagers de l’Airbus s’impose, à droite, comme une allégorie de la folle campagne de François Fillon.

Au lendemain du tonitruant «je ne me retirerai pas» du candidat qui se dit victime d'une tentative «d'assassinat politique», les appels se sont multipliés pour qu'il renonce et cède sa place à un autre représentant du parti Les Républicains. Le nom d'Alain Juppé était cité jeudi avec de plus en plus d'insistance. Jamais la perspective d'un retour du maire de Bordeaux n'avait été aussi clairement évoquée, y compris dans le bureau de François Fillon qui réunissait dans la matinée plusieurs élus de son parti, notamment François Baroin et Valérie Pécresse. Un peu plus tôt dans la journée, le domicile parisien du candidat, soupçonné de «détournement de fonds publics» et d'«abus de biens sociaux», avait été perquisitionné. Selon un de ses proches, le maire de Bordeaux confirme désormais ouvertement qu'il est prêt à prendre les commandes, à condition, bien sûr, que Fillon soit d'accord. «Prêt mais loyal», précise ce juppéiste. Devant Fillon, la présidente de la région Ile-de-France, Valérie Pécresse, n'a pas caché son effarement lorsqu'elle a découvert mercredi soir que le rassemblement pro-Fillon de dimanche au Trocadéro était présenté par certains comme une manifestation contre «le coup d'Etat des juges». Désaveu partagé par Nathalie Kosciusko-Morizet et par le directeur de campagne, Patrick Stefanini, également membre du Conseil d'Etat. Poussée par Bruno Retailleau et les militants de Sens commun, cette initiative a entraîné de nombreux élus dans le camp des anti-Fillon.

Dénominateur commun

Quant aux amis de Juppé, ils ont pris acte de l'appel du député LR Georges Fenech, sarkozyste notoire, en faveur d'une candidature du maire de Bordeaux : «C'est important, cela montre que le camp Sarkozy ne fait plus bloc contre Juppé.» Dans l'entourage de l'ancien chef de l'Etat, on précise que Fenech «n'est pas téléguidé» et agit «en son âme et conscience». Depuis le début de la crise du «Fillongate», Sarkozy est soupçonné de bloquer obstinément tout plan B débouchant sur une candidature de son ancien rival. Jeudi matin, lors de la réunion dans le bureau de Fillon, le dauphin du sarkozysme, François Baroin, aurait été l'un des plus virulents contre la solution Juppé.

Selon un proche, ce dernier pourrait faire campagne sur «le tronc commun» programmatique des finalistes de la primaire de la droite : «On a beaucoup insisté sur les différences. Mais en réalité, les projets Fillon et Juppé se recoupent à 80 %.» Ce dénominateur commun serait légitimé par les 4 millions d'électeurs du scrutin. «Encore temps de sauver l'alternance !» a tweeté le lemairiste Franck Riester, photo de son parrainage pour Juppé à l'appui.

Fillon se laissera-t-il convaincre ? Jeudi, en fin de matinée, les juppéistes ne voyaient plus comment le candidat pourrait tenir après la vague de défections. En toute hypothèse, ils imaginent que le prochain sondage, selon eux «forcément mauvais», achèvera de le convaincre.

En attendant, près d'une soixantaine d'élus avaient déjà retiré jeudi soir leur soutien au candidat. Bruno Le Maire et ses amis, pour qui François Fillon doit abandonner au nom du «respect de la parole donnée», ont déserté dès mercredi. Ils ont été suivis le lendemain par de très nombreux juppéistes. Les députés Benoist Apparu et Edouard Philippe, ainsi que le sénateur Christophe Béchu ont annoncé ensemble leur retrait d'une campagne prenant une «tournure incompatible» avec leur «façon d'envisager l'engagement politique». Ils ont été rejoints par le bras droit de Juppé, Gilles Boyer, devenu trésorier de la campagne de Fillon.

Optimisme débordant

Quelques heures plus tard, une vingtaine d'élus locaux demandaient solennellement à François Fillon de «tenir sa parole en retirant sa candidature». Selon eux, les conditions ne sont «plus réunies» pour qu'il puisse «porter sereinement» son projet.

«Climat délétère», «pacte moral rompu», «menace sur notre cohésion nationale»… Les mots sont durs et dramatiques. Cet appel, publié par l'Opinion, est signé par de nombreux maires LR et UDI - Jean Rottner (Mulhouse), Laurent Hénart (Nancy), Arnaud Robinet (Reims) -, mais aussi par plusieurs sarkozystes, comme Valérie Debord, adjointe au maire de Nancy. De son côté, le vice-président de la région Hauts-de-France, Gérald Darmanin, proche de Xavier Bertrand, tweetait : «Jusqu'à présent ce sont les socialistes qui faisaient monter le Front national, maintenant c'est nous. J'ai honte de ma droite.» Last but not least, tous les salariés issus des équipes de Sarkozy, Juppé et Le Maire démissionnaient jeudi soir, laissant le QG du candidat à moitié dépeuplé. Depuis le Gard où il était en campagne, Fillon affichait son indifférence face à cette hémorragie (lire ci-contre). Il se fait fort de démontrer qu'il a le soutien de «la base» à l'occasion du rassemblement de dimanche. Une initiative critiquée par François Hollande : «Il ne peut pas y avoir de manifestation» qui «mette en cause» la justice, a-t-il déclaré.

Le directeur de campagne, Patrick Stefanini, a convoqué jeudi une réunion préparatoire à ce «rassemblement de soutien au candidat». Malgré la pluie, le camp Fillon a bon espoir de remplir la place du Trocadéro, là où Sarkozy avait tenu son meeting géant du 1er mai 2012, quelques jours avant sa défaite. «Comme en 2012, il y aura beaucoup de monde, sauf que cette fois, nous gagnerons», affirme à la presse le président filloniste de la fédération LR de Paris, Philippe Goujon, amusé lui-même par l'optimisme débordant de sa prédiction.

Ce rassemblement aura-t-il seulement lieu ? Les deux jours qui viennent seront riches de nouvelles épreuves. Plusieurs hauts responsables LR travaillent encore à réunir les conditions politiques ou même juridiques d’un atterrissage de Juppé. Le maire de Bordeaux ne se dévoilera que s’il a la garantie d’un soutien massif de sa famille politique. C’est encore loin d’être le cas.