«Pourquoi tu souris pas ? T’es censée nous rendre le travail plus agréable.» / «Vous êtes jolie, vous allez amadouer les juges.» Les anecdotes sexistes n’en finissent pas de fleurir depuis quelques mois sur les Tumblr #payetarobe, #payetafac ou #payetontaf. Mais le sexisme au travail peut également être moins évident à débusquer, et donc à contrer.
«Préparez-vous au combat», proclame la journaliste américaine Jessica Bennett dans son Fight Club Féministe (1), un «manuel de survie en milieu sexiste» qui après avoir fait un tabac aux Etats-Unis, vient d'être publié en France, aux éditions Autrement. Résultat haut en couleurs de maintes réunions secrètes et arrosées entre l'auteure et des militantes anti-patriarcat formées sur le tas, le livre est à mi-chemin entre la méthode et le manifeste.
Cette démarche novatrice et pédago, pleine d'humour et de dessins, complétera parfaitement une lecture comme le Sexisme au travail, de Brigitte Grézy (qui vient de paraître chez Belin). «Nous menons une lutte à trois niveaux : pour nous-mêmes, pour nos sœurs, contre le système», expose Bennett. Joli programme.
Se battre contre tout le monde
Ce «livre-action» offre des solutions pour rendre inaudible le vocabulaire de «l'infâme phallocrate» (ces «gentille», «crêpages de chignons» ou «miss» jetés à la volée dans l'open-space). Avec force dessins, moult conseils sont donnés pour «identifier l'ennemi» et contrecarrer les méfaits de «l'homo interruptus» («nous avons les bonnes idées il a les meilleures cordes vocales») ou du «sténophallocrate», qui l'air de rien «vous demande si ça vous dérangerait de prendre des notes».
La journaliste américaine, qui planche aussi sur les questions LGBT, les pères au foyer ou les millenials (nés après 2000) pour le New York Times, analyse cette prédation discrète : «Voilà des milliers d'années que les hommes sont traités en espèce dominante et qu'on leur inculque le comportement autoritaire, le discours et le langage corporel qui accompagnent ce statut.»
Sus donc au «sapeur d'ego», qui «égratigne l'image que les autres ont de vous en vous réduisant à votre sexe ou votre âge […] qui ne voit aucun mal à vous appeler "jeune fille" devant tous vos collègues ou qui n'arrive jamais à prononcer votre prénom un peu trop exotique». Du balai, l'«organisateur des loisirs macho», qui «peut organiser un dîner pour la demi douzaine d'employés qui assiste à une conférence et oublier d'y convier la seule femme présente». Il devra souffrir que l'on s'invitasse.
Arrêter de se saborder
Le «Fight Club Féministe» n'oublie pas de rappeler que les salariées savent très bien s'écraser, se dévaloriser toutes seules comme des grandes. «C'est l'impression que même si vous obtenez une promotion, vous ne la méritez pas vraiment, à la moindre petite erreur, vous êtes persuadée que vous devriez tout laisser tomber, c'est ce qui vous rend si modeste quand on vous fait un compliment.» Arrêtons donc l'autosabordage : fermons le clapet à la crainte d'être atteinte d'incontinence verbale quand le micro nous est tendu, stop aussi à la vantardise enrobée d'un faux voile de modestie. Que disparaisse cette «éternelle assistante» intérieure, qui propose son aide à tout bout de champ.
Des fiches pratiques sont comme des cailloux semés par la Poucette sufragette. La fight-clubeuse qui ne se considérera pas payée à sa juste valeur doit demander un rendez-vous et ne pas l'attendre. Elle doit arriver armée, sans donner de fausses excuses victimisantes comme «je dois rembourser mon prêt étudiant», et soigner son attaque. «D'après Salary.com (ou la source de votre choix) le tarif en vigueur est…» (pour l'expertise extérieure) + « je suis ravie de ce que nous avons accompli ensemble cette année» (pour esprit d'équipe). A la réponse «c'est bien plus que le budget initialement prévu pour ce poste», ne pas baisser les bras mais insister «je pense cependant que j'apporte plus que le candidat moyen».
Faire jouer la sororité
Encourager les prises de conscience individuelles, c'est bien. Se battre ensemble, c'est mieux et c'est l'objet principal de la démarche de Jessica Bennett. «La première règle du fight-club, c'est de parler du fight-club». L'auteure pousse aussi à rassembler une «masse clitoridienne» pour faire pression en réunion et, par exemple, permettre aux mères allaitantes un endroit autre que les toilettes pour tirer son lait. Il faut se penser ensemble, martelle-t-elle avec ses «dix commandements de la discrimination vagi-positive» : «Tu soutiendras les autres femmes / tu tireras la force du groupe / tu respecteras tes aînées / tu aideras les petites nouvelles à gravir les échelons.»
«Nous ne pouvons pas compter sur la législation. C'est à nous de nous battre. Les femmes de ce pays doivent devenir des révolutionnaires», disait Shirley Chisholm, première députée afro-américaine élue au Congrès des Etats-Unis, en 1968. C'est sous cette grande égide que le manuel de Jessica Bennett s'ouvre. L'occasion de rappeler que la sororité est la clé pour changer en profondeur une société malade. Ce rappel à l'ordre trouve une belle résonance dans l'hymne du MLF, composé pourtant en 1971 : «Le temps de la colère, les femmes, notre temps, est arrivé. Connaissons notre force, les femmes, découvrons-nous des milliers. Ensemble, on nous opprime, les femmes, ensemble, révoltons-nous !»
(1) Allusion au film – controversé – Fight Club de l'Américain David Fincher sorti en 1999, dans lequel la virilité se retrouve et le mal-être s'évacue par la violence dans un club de combats clandestins