A la demande de François Fillon, l'audition fixée ce mercredi a été avancée de vingt-quatre heures. «Pour en garantir la sérénité», explique son avocat Antonin Lévy. Le candidat de la droite aura donc échappé aux images infamantes de son arrivée au Parquet national financier, escorté par une nuée de journalistes. Il n'a pas échappé, en revanche, à une triple mise en examen pour «détournement de fonds publics», «recel et complicité d'abus de biens sociaux» et «manquement aux obligations déclaratives à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique».
Plutôt que de répondre aux questions des juges, Fillon a choisi de s'en tenir à la lecture d'une déclaration, aussitôt rendue publique. «Il est de mon devoir de répondre à la convocation que vous m'avez adressée […], le respect dû à l'autorité judiciaire s'impose à chacun d'entre nous», a-t-il commencé, avant de proclamer «la réalité indéniable» des travaux de son épouse, aussi bien comme assistante parlementaire que comme «conseillère littéraire» à la Revue des Deux Mondes. Fidèle à sa ligne de défense, il soutient que la justice ne peut pas, «sans violer la séparation des pouvoirs», enquêter «sur le travail d'un parlementaire et la manière dont celui-ci s'organise avec ses collaborateurs». Il renvoie, à ce propos, à la réponse du président de l'Assemblée aux enquêteurs qui l'interrogeaient sur les rémunérations des collaborateurs ayant un lien familial avec le député employeur : «M. Claude Bartolone a refusé de répondre au nom du principe de séparation des pouvoirs.» Une fois que sa mise en examen lui a été signifiée et le procès-verbal signé, il est reparti en fin de matinée. S'efforçant de poursuivre sa campagne.
En guise de bref répit, le candidat LR a enchaîné sur une rencontre avec la Fédération nationale des chasseurs, électorat acquis à la droite. Lui, qui s'estime victime d'une «chasse à l'homme» où «les balles volent bas», n'a pas trouvé déplaisant d'être «aux côtés de vrais chasseurs». Et de se lancer dans un improbable discours à propos d'«ortolans», de «barges à queue noire», de «tétras des Pyrénées» ou de «plans de tir raisonnable».
Grognards. Entre lueurs d'espoir et découragement, les élus et les cadres du parti engagés dans cette folle campagne changent d'humeur plusieurs fois par semaine. Ils étaient au fond du trou début mars, quand le QG se vidait de ses forces vives et que des dizaines de parlementaires LR appelaient au retrait de Fillon. Ils ont repris espoir après le rassemblement du Trocadéro le 5 mars, suivi du soutien«unanime» des principaux dirigeants LR. Mais avec l'affaire des costumes offerts par «un ami» qui s'est confié au JDD (lire ci-contre), on les a retrouvés, lundi, rattrapés par la déprime.
Officiellement, beaucoup continuent d'afficher la combativité des vieux grognards revenus de loin. Gérard Longuet, l'un des orateurs nationaux qui enchaînent les réunions publiques, se raccroche aux «salles pleines tous les soirs, où personne, soit dit en passant, ne pense que les hommes politiques sont des saints». Le sénateur convoque, lui aussi, le général de Gaulle, qu'il n'imagine pas instrumentalisant la justice : «En 1965, il n'avait pas, lui, utilisé la mise en examen de Mitterrand [pour outrage à magistrat, dans l'affaire de l'Observatoire].»
Ceux qui ne renoncent pas à y croire font valoir que la mise en examen serait un «non-événement», déjà intégré par l'opinion. Eric Woerth, qui est passé par là avant d'obtenir un non-lieu dans l'affaire Bettencourt, insiste sur la banalité de l'histoire : «Il arrive à beaucoup de gens, dès lors qu'ils exercent des responsabilités, de se retrouver mis en examen. Cela n'a rien d'extraordinaire. Même la juge Eva Joly a été mise en examen.» L'ex-sarkozyste, devenu un pilier de l'équipe Fillon, insiste «sur l'énorme disproportion entre les enjeux de la présidentielle et la place donnée à l'affaire». Longuet renchérit : «L'actualité du jour, c'est le chiffre mensuel du déficit commercial ! La France plonge, et on nous parle du financement du mariage de Marie Fillon !» Pour ce fidèle filloniste, la page est déjà tournée : «Aujourd'hui, des magistrats qui affrontent un candidat ; demain, ce seront des candidats qui pourront débattre.»
«Dos rond». Au QG de campagne, on fonde d'immenses espoirs sur le débat télévisé de lundi. Et rêve de reproduire le scénario de la primaire qui avait vu Fillon dominer nettement les échanges. «Fillon a l'expérience, un projet solide, Il est bon à l'oral», s'emballe Woerth. Macron ? «Il apparaîtra pour ce qu'il est : un bon inspecteur des finances qui fait l'acteur. Si on a un vrai débat, Fillon le fait exploser», pronostique l'un des principaux artisans du projet. Un optimisme tempéré par le député UDI Yves Jégo : «Quand on en est à parier sur la faiblesse de l'adversaire, c'est très mauvais signe.»
Un avis largement partagé. Sous couvert d'anonymat, de nombreux parlementaires, officiellement soutiens de Fillon, ne sont plus loin de penser que la bataille est perdue. Jusque dans le premier cercle, on parle de «confiance brisée» et de «déception» après les révélations : «Fillon a menti sur ce qu'il était», se désole un député LR, qui résume ainsi sa semaine : «Le mercredi c'est Canard, le jeudi c'est Mediapart… On ne peut pas faire le dos rond en permanence. Impossible de faire campagne dans ces conditions.»
Rien d'impossible, en revanche, pour Marine Le Pen, qui n'a, elle, pas jugé utile de répondre à la convocation des juges. La candidate FN ne s'est pas privée de railler «l'homme […] attaché aux valeurs traditionnelles dont les Français se sont rendu compte que c'était un homme qui aimait l'argent».