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Interview

Serge Volkoff : «Les cadres s’enferment de plus en plus»

Pour le statisticien Serge Volkoff, l’enquête menée par la CFDT révèle des relations dégradées entre les salariés et leur hiérarchie.
publié le 15 mars 2017 à 20h36

Serge Volkoff, statisticien et ergonome, est membre du Centre d’études de l’emploi. Spécialiste des relations entre travail et santé, il fait partie du groupe d’experts missionné par la CFDT pour analyser les données de l’enquête. Il revient sur la méthodologie employée et les premiers enseignements.

Près de 200 000 répondants, des dizaines de questions : l’enquête «Parlons travail» est un projet de grande ampleur. Comment traiter une telle quantité de données ?

Il y a de quoi alimenter plusieurs équipes de recherche pendant des mois, voire des années. Il a donc fallu faire des choix. Pour sélectionner les premières thématiques, nous sommes partis de la devise républicaine «Liberté, Egalité, Fraternité». Le rapport aborde ainsi les questions d'autonomie, de solidarité, mais aussi d'inégalités, en faisant un zoom sur ceux que l'on a qualifié de «malmenés» par le travail. Ce choix n'est pas un hasard, puisque l'idée est aussi d'être au cœur de la campagne présidentielle. Mais ces questions vont mériter d'être approfondies, et d'autres thèmes sont à venir.

Le rapport se penche longuement sur le besoin d’autonomie, très important pour les répondants, là où l’encadrement est moins plébiscité…

Ce n'est pas vraiment une surprise. En revanche, un des éléments assez frappant est le nombre de réponses assez négatives visant les supérieurs hiérarchiques. Par exemple, un travailleur sur cinq juge que, dans son entreprise, le moment de l'évaluation est «un moment désagréable», voire «cauchemardesque». Les compétences des managers sont aussi pointées du doigt. Elles sont jugées «médiocres» ou «zéro» par plus du quart des répondants. Ce sont certes des réponses minoritaires, mais non négligeables.

Comment interpréter ce regard porté sur les supérieurs ?

Il est encore difficile, en l'état, de faire des hypothèses. Mais cela peut renvoyer aux nouveaux modes de désignation des managers. Il y a aujourd'hui de plus en plus de situations dans lesquelles ceux qui encadrent sortent des écoles et n'ont jamais exercé le métier en question, ou ne le connaissent tout simplement pas. Il y a aussi une aspiration des cadres intermédiaires vers le haut, liée au développement du «reporting» [rapport d'activité, ndlr]. Ils s'enferment de plus en plus dans leurs bureaux et sont donc moins tournés vers le bas, vers les salariés. Cela peut donc expliquer le fait que ces derniers soient en partie insatisfaits de l'aide reçue de la part de leurs supérieurs, surtout chez les travailleurs les plus anciens. Ou encore les chômeurs.

A l’inverse, les relations entre salariés semblent meilleures ?

Elles sont même excellentes, puisque trois quarts des répondants trouvent que les relations avec leurs collègues sont cordiales ou même formidables.