Menu
Libération
Comment ça va le commerce ?

A Ahun, une friperie-café-poussette pour susciter «l'échange»

Comment ça va le commerce ?dossier
Il y a six mois, Rachel Juillet a racheté un fonds de commerce à Ahun, dans la Creuse. Un pari dans ce bourg de 1 500 habitants qui voit l'arrivée de plus en plus de «bobos parisiens».
Rachel Juillet, propriétaire du commerce l'Art du troc, à Ahun (Creuse). (Photo Pascal Aimar pour Libération)
publié le 21 mars 2017 à 10h35

«Vous voulez me présenter comme une grande gueule  rigole-t-elle. La grande gueule en question, c'est Rachel Juillet, grande blonde décolorée au large sourire, avec un dynamisme à toute épreuve. Voilà six mois que cette auto-entrepreneuse de 47 ans a racheté un fonds de commerce pour en faire une friperie-salon de thé, avec un espace dédié à la puériculture, dans le bourg d'Ahun, près de Guéret. Dans la Creuse, cette fameuse partie de la France située dans la «diagonale du vide» et qui, dans la bouche de nombreux Français, se résume à un cliché. «Les bobos parisiens, j'en vois de plus en plus, ils vous prennent de haut. Ce n'est pas une clientèle facile», concède la commerçante, pourtant née à Paris.

Elle n'a pas atterri ici par hasard. Plus jeune, elle y a passé toutes ses vacances et de nombreux week-ends dans la maison de campagne familiale «pour se ressourcer et voir ses potes du coin», dont l'un deviendra son mari, avant de partir barouder dans le monde entier pendant cinq années en tant qu'animatrice avec le Club Med. «Sa plus belle expérience de vie», dira celle qui imitait alors Muriel Robin devant plus de 1 000 personnes. Point d'orgue du passage de «timide» à «grande gueule». «J'ai toujours dit que je viendrais habiter en Creuse. Je me suis dit que le jour où j'aurais des enfants, je me casse de Paris.» Elle tiendra promesse.

Business is business

A son arrivée, cette «hyper-démerdarde», qui a une formation d'origine d'architecte-designer de la très réputée Ecole Boulle, à Paris, n'a pas peur d'enchaîner les petits boulots. A l'usine, comme baby-sitter, femme de ménage, «toutou-sitting», caissière ou encore vendeuse. «Tant que je peux faire manger mes trois enfants et m'habiller, ça me va», explique cette optimiste née. Lorsque le Eram dans lequel elle bosse à Guéret ferme, elle profite de son congé mat' pour se recentrer sur ses passions, «le dessin et les enfants». C'est là qu'elle décide de monter son affaire, son «café petite enfance», avec un crédit et l'aide de 14 parrains commerçants d'Ahun qui lui ont fourni du matériel pour sa boutique : «Quand on n'a pas de boulot, on le crée. Il ne faut pas avoir peur de se lancer, il faut se battre.» Et peu importe ce que les «rageux» en disent, estime cette fonceuse qui n'a pas hésité à s'enchaîner aux grilles de l'école de la commune pour protester contre la fermeture d'une classe.

Une fois les clés en main, elle avoue avoir «accouché une quatrième fois». Un hurlement de bonheur, la délivrance. Sa vision d'architecte lui permet de réorganiser de façon optimale l'espace tout de moquette revêtu qui se divise en trois parties : un espace fripes petite enfance et puériculture, un espace fripes et accessoires adultes, dont les portants débordent d'étoffes en tout genre, et un espace salon de thé avec un bonus «baie vitrée». De quoi susciter «l'échange entre les différentes générations, s'enorgueillit Rachel Juillet. C'est un endroit citoyen, c'est aux gens qu'il appartient». Sa clientèle et ses fournisseurs «viennent de partout». Pour l'essentiel, des Parisiens ou des Bretons qui jouissent d'une résidence secondaire dans la région, mais aussi des Creusois. «On a le droit de bien s'habiller en Creuse, et pour pas cher !» dit-elle, même si elle compte parmi ses fringues du Yves Saint Laurent, du Burberry et du Chanel. Mais hors de question d'accepter la fourrure, «je suis contre l'abattage des animaux». Dès qu'on parle argent, Rachel Juillet est redoutable : «Je prends 50% sur tout et s'ils ne sont pas d'accord, et ben ils repartent avec.» Et pas moyen de marchander, business is business. Grâce à ça, elle arrive à se verser un salaire d'environ 1 000 euros par mois, 1 500 en décembre, parce que ses trois garçons «ont bien le droit d'avoir un Noël décent».

«Draps en satin»

Dans cinq ans, quand son crédit d'achat sera totalement remboursé, elle espère bien acheter un local plus grand. Mais d'ici là, il y a la présidentielle. «La campagne électorale, c'est de la folie. Dès que j'allume la télévision c'est OK Corral ! Je fais les poubelles de Pierre pour les donner à Jacques et inversement.» En somme, le bordel. Et d'énumérer notamment les différentes affaires qui éclaboussent François Fillon. «Moi, je me demande s'il dort dans des draps en satin», ironise Rachel Juillet, qui estime dans l'ensemble qu'«on va droit dans le mur».

Quant à la question de savoir pour qui elle votera, l'auto-entrepreneuse se fait moins bavarde. «Je ne sais toujours pas mais je ne suis pas FN», précise cette admiratrice du général de Gaulle. «Je mettrai peut-être d'ailleurs mon nom dans l'urne», à l'image de Coluche, confie-t-elle, si un choix n'émerge toujours pas à l'issue des grands débats. Ce qui pourrait la décider ? Une politique axée principalement sur l'entreprise et la famille. «Le RSI [le Régime social des indépendants, ndlr], c'est lourd pour une petite structure. Quand je vois ce que les patrons paient en charges, c'est hallucinant ! Et honnêtement, j'ai du mal à concevoir qu'un boulanger ou qu'un boucher ferme. Les métiers de bouche ne devraient pas fermer ! s'agace-t-elle. Sans parler de «l'administration française qui freine la création, l'innovation. Ça décourage». Elle enchaîne : «Et puis faut qu'on fasse pour les familles, pour ceux qui en ont vraiment besoin.» Rachel Juillet ne comprend pas pourquoi elle touche moins d'aides aujourd'hui que lorsqu'elle était au chômage. «Ils m'ont enlevé 200 euros d'aides alors que mon mari est au smic et que l'un de mes enfants a été reconnu handicapé. J'aimerais qu'on m'explique. C'est du foutage de gueule.» Désormais il n'y a plus qu'à patienter, pour «savoir à quelle sauce on sera mangé».