Haro sur Marine Le Pen. A l'orée de ce débat télévisé inédit dans l'histoire de la Ve République, on attendait une forme de «Tous sur Macron» mais c'est la candidate du Front national qui s'est retrouvée au cœur des premières attaques de ses quatre adversaires d'un soir, favorisées par le premier thème abordé, les questions de société et donc de sécurité, d'immigration et de laïcité. Respectant le pacte de non-agression qu'ils ont scellé fin février, Jean-Luc Mélenchon, très en verve, et Benoît Hamon, requinqué par son succès de dimanche à Bercy, ont aussi fait cause commune contre François Fillon, en particulier sur la durée du temps de travail et, dans une moindre mesure, contre Emmanuel Macron. Si l'ancien ministre de l'Economie, en tête dans les sondages juste derrière Marine Le Pen, a donné quelques coups de griffe, à droite comme à gauche, il a joué la prudence, voire la synthèse : dans la même séquence, il approuve François Fillon sur sa réforme de l'apprentissage et opine du chef quand Benoît Hamon défend la réduction du nombre d'élèves par classe. Son credo : «Défendre le pragmatisme et pas les grands principes.» Pour le leader d'En marche, l'enjeu était simple : à 34 jours du premier tour, geler le jeu électoral pour décrocher sa place en finale.
Récitations
Quant à Fillon, il espérait se sortir du pétrin des affaires en revenant sur le fond de son programme. Plutôt éteint au début du débat, il a été totalement sous l’eau pendant le passage sur la moralisation de la vie publique, reprenant du poil de la bête pendant le débat sur les questions économiques.
Après les interminables et très policés débats des primaires, les cinq principaux candidats à la présidentielle ont choisi tout de suite de descendre dans l’arène pour tenter de faire la différence. La disposition des pupitres, placés en cercle pour inciter à la joute, s’y prête. Le tout dans un décor noir et blanc, entre l’amphithéâtre, la boîte de nuit et le vaisseau spatial.
Après leurs récitations prévisibles sur le thème «quel président voulez-vous être», que Hamon a retourné pour demander aux Français «quel peuple voulez vous être», c'est Mélenchon qui a ouvert le feu contre Le Pen, interrompant sa meilleure ennemie qui venait de demander qu'on supprime l'enseignement des «langues d'origine» à l'école primaire. Benoît Hamon enchaîne dans le registre musclé après la présentation du programme ultrasécuritaire de Marine Le Pen : «Que vous soyez une droguée aux faits divers c'est une chose, mais vous êtes candidate à la présidence. Ce que vous proposez n'est pas sérieux.» Les deux candidats de la gauche s'allient ensuite pour s'en prendre à Fillon sur les affaires d'emplois supposés fictifs qui plombent sa campagne. «Vous êtes très fort en soustraction, moins en addition. Sauf quand il s'agit de l'argent de votre famille», lance Hamon. «J'admire vos pudeurs de gazelle», s'esclaffe à l'encontre des journalistes de TF1 Jean-Luc Mélenchon, rappelant que seuls deux des cinq candidats sont concernés par la question des affaires, Fillon et Le Pen.
Mélenchon revient à la charge en fin de soirée, mettant cette fois Fillon et Macron dans le même sac sur la réduction du temps de travail : «Sur les 35 heures, vous dites la même chose tous les deux.» Le candidat Les Républicains accrédite cette convergence libérale le temps d'une réponse : «On veut laisser les salariés décider.» Mais cette «alliance» Macron-Fillon explose sur la réforme des retraites ou quand ils se renvoient leurs bilans respectifs au gouvernement.
«Ventriloque»
Pourtant le duo se reforme quand est évoquée la sortie de l'euro, prônée par le FN. Fillon accuse Marine Le Pen d'entraîner «le pays vers le chaos» et de vouloir mener «une aventure qui créerait la ruine». «Ça, c'est le projet peur», leur retourne la candidate, dégainant des graphiques du décrochage de la production industrielle après le passage à l'euro. «Je partage totalement le point de vue de François Fillon», conclut Emmanuel Macron, qui ménage décidément beaucoup son concurrent de droite.
Quelques minutes avant, Macron, lui, s'était offert son grand moment contre Marine Le Pen quand a été abordé le thème de la laïcité. «J'ai cru comprendre que vous aimiez le burkini», l'attaque la frontiste. Piqué au vif, le candidat d'En marche réplique : «Je n'ai pas besoin d'un ventriloque.» Il lui fallait ce regain d'énergie pour ferrailler avec Benoît Hamon, lorsque le débat glisse sur la transparence de la vie publique. Le candidat socialiste interpelle directement le leader d'En marche sur le financement de sa campagne, qu'il considère aux mains des lobbys et des «gens riches». «C'est pour moi, donc je vais me permettre d'intervenir», contre-attaque Macron, qui «prend l'engagement de n'être tenu par personne». Les deux ex-ministres monopolisent alors le débat, s'attirant les remontrances des journalistes qui rappellent que c'est une confrontation à cinq et non à deux. Jean-Luc Mélenchon fait rire les 400 spectateurs et invités en taclant ses deux rivaux : «Il faut bien qu'il y ait un débat au Parti socialiste.»