La justice française dira peut-être un jour si cela relève du trafic d'influence, un délit pénal. Mais le contenu de la prestation fournie en 2015 par François Fillon, dévoilée mardi par le Canard Enchaîné, permettra à chacun de se faire une opinion : faire jouer ses relations d'ancien Premier ministre auprès de divers «influencers and policy makers in Russian, Algerian, Gabonese, Ivoirian and French companies». En français dans le texte : faire jouer ses relations politiques en Russie, Algérie, Gabon, Côte d'Ivoire, et auprès de compagnies françaises, au profit d'intérêts commerciaux, ceux de la société FPI, fondée par un homme d'affaires libanais, Fouad Makhzoumi. Le tout pour 50 000 dollars (46 000 euros).
Mediapart avait déjà révélé la relation contractuelle entre la petite entreprise de François Fillon, 2F Conseil, et FPI. La substance et la genèse du contrat, détaillées par le Canard, rajoutent au trouble, notamment au sujet du tropisme russe du candidat LR à l'élection présidentielle. A l'approche du forum international de Saint-Petersbourg, en juin 2015, Fillon met ainsi son carnet d'adresses au profit de Makhzoumi : il lui fait rencontrer Vladimir Poutine, mais aussi Patrick Pouyanné, PDG du pétrolier français Total. Pour le second, Fillon ne s'est guère foulé : Pouyanné fut son ancien directeur de cabinet au ministère des PTT.
S'agissant du premier, Fillon aura davantage mouillé la chemise, pour avoir patiemment noué une relation intime avec Poutine. Cela remonte à sa période de Premier ministre à Matignon (2007-2012), quand Poutine piaffait parallèlement au poste de Premier ministre de la Russie, avant de reprendre son titre de président. Entamée par une invitation dans sa résidence de Sotchi en 2008, ponctuée en 2013 par une invitation dans sa datcha moscovite, leur relation relève de la forte proximité, faite de divers défis autour d'une table de billard ou sur des pistes de ski.
«Je n'ai aucune relation avec Vladimir Poutine», rétorquait pourtant, sans toujours convaincre, François Fillon lors de la primaire LR, sentant pointer les soupçons. Depuis, son fidèle Bruno Retailleau martèle que 2F Conseil n'aurait pas eu le moindre client russe : «Les choses sont claires.» De même, le groupe Total tient également à faire savoir l'absence de tout contrat. Personne n'en doutait, mais là n'est pas la question, car c'est l'homme d'affaires libanais qui rémunérait son influence réelle ou supposée. Outre la problématique morale, François Fillon court le risque que la moindre de ses prises de position sur la Russie, même les plus techniques comme lundi soir sur TF1 – «la lutte de la France contre Daesh est un échec, nous aurions dû la conduire avec la Russie» – soit désormais passée au crible de ses petites affaires privées.