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Libération
Disparition

Henri Emmanuelli, voix tempêtueuse de la gauche

L'ancien Président de l'Assemblée nationale, figure historique de l'aile gauche du PS, est mort à l'âge de 71 ans.
Henri Emmanuelli lors d'un meeting de Martine Aubry, le 13 octobre 2011 à Lille. (Photo Vincent NGUYEN)
publié le 21 mars 2017 à 12h40

On le savait malade depuis des mois. Le socialiste Henri Emmanuelli est mort dans les Landes, où il était élu sans discontinuer depuis 1978. Son décès a été annoncé ce mardi matin, il aurait eu 72 ans à la fin du mois de mai. Mitterrandien historique, figure et mentor de la nouvelle aile gauche du Parti socialiste, l'ancien président de l'Assemblée nationale avait remis les clés de son courant à Benoît Hamon il y a une dizaine d'années, lors du congrès de Reims. Passé par les ministères et la rue de Solférino, ce grognard grognon était une grande voix du PS, de celles qui l'ouvrent pour remettre les pendules à l'heure quand les temps sont graves. Une sorte de mauvaise conscience. En 2005, il s'était fortement engagé en faveur du non au référendum sur l'Europe. Et ces dernières années, il n'avait de mots assez durs pour dénoncer la décrépitude du PS. «Le PS est devenu un parc à moutons», lançait-il en 2014.

En visite à Bruxelles, Benoît Hamon, les yeux humides et visiblement touché, a laissé échapper son émotion à l'annonce de la disparition de celui qu'il a appelé son «frère en politique». «C'est une blessure, ça me bouleverse», a commenté le candidat socialiste, qui avait cité Emmanuelli parmi les grands noms de l'histoire de la gauche dans son discours de Bercy dimanche. «Il a joué un rôle extrêmement important dans ce que je suis. Je lui dois beaucoup. […] C'était, comme on dit, une âme sœur», a souligné l'ancien leader du courant Un monde d'avance, qu'il avait fondé avec Emmanuelli en 2008.

«Phare pour la gauche»

Alors que la campagne présidentielle fait exploser les lignes socialistes, tous se sont retrouvés mardi matin dans un hommage unanime, soulignant autant les valeurs de gauche d'Emmanuelli que son caractère de cochon. «Aussi généreux et engagé que parfois bougon. Un phare pour la gauche», a tweeté le député de l'Ardèche Olivier Dussopt, longtemps membre de l'aile gauche avant de s'engager derrière Manuel Valls pendant la primaire de janvier. «Homme d'action, il fut souvent la voix de la conscience de la gauche», a estimé de son côté la sénatrice Marie-Noëlle Lienneman. «Un être rare», selon la formule du premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis : «Il avait l'âme socialiste chevillée au corps en étant respectueux des autres.» Sur le fond, toujours, sur la forme, il y avait davantage à dire sur ses emportements.

Arrivé en socialisme avec le congrès d'Epinay, en 1971, Emmanuelli a d'abord grandi à l'ombre et dans l'admiration de François Mitterrand. Secrétaire d'Etat au Budget de 1983 à 1986, cet adepte du «changement» assume le virage de la rigueur. Une dizaine d'années plus tard, en juin 1994, alors que le conseil national du PS refuse de renouveler sa confiance à Michel Rocard, il devient premier secrétaire du parti. Il accède à ce poste dont il rêvait grâce à l'appui des fabiusiens, alors même qu'il ne porte pas le premier d'entre eux dans son cœur. «On n'hérite pas du PS comme d'une Aston Martin», avait-il lancé en 1988 à l'ancien Premier ministre quand il avait tenté de prendre le contrôle de la rue de Solférino.

Grogner, cela faisait partie du personnage. Mitterrandien avant tout, Emmanuelli prendra sa défense quand une polémique éclate au milieu des années 90 sur le passé vichyste du chef de l'Etat, boxant les rocardiens et les «ex-jospinistes» qui ont osé s'attaquer au grand homme. A la même époque, quand Delors renonce à la course à l'Elysée, Emmanuelli se lance, tout comme Lionel Jospin, dans le cadre d'une primaire. C'est l'époque où Ségolène Royal, qui se tâte déjà pour candidater elle-même, lance cette mise en garde : «Deux trains sont lancés à toute allure l'un contre l'autre, pilotés par les mêmes acteurs du détestable congrès de Rennes.» Jospin l'emportera finalement mais échouera à conquérir l'Elysée. Et deux ans plus tard, Emmanuelli, réélu député des Landes alors que Jospin arrive à Matignon, est condamné à dix-huit mois de prison avec sursis en tant qu'ex-trésorier du PS pour son rôle dans le volet marseillais de l'affaire Urba. Le tribunal estime alors qu'il n'y a «aucun manquement à l'honneur et à la charge politique de M. Emmannuelli». C'est ce qui s'appelle payer pour un système, en bouc émissaire. Une réalité qui a contribué à son crédit au sein des siens, conscients qu'il avait aussi pris pour eux.

Sciences Po, la banque et le PS

Orphelin de père à l'âge de 11 ans, Emmanuelli grandit dans une famille communiste au fin fond d'une vallée des Pyrénées, près d'Eaux-Bonnes où il est né en 1945. Diplômé de Sciences Po, il fait son entrée dans la vie active par la banque, à la compagnie financière Edmond de Rothschild. Tout en entretenant une forte défiance à l'égard de la bourgeoisie parisienne, il gravit professionnellement tous les échelons. En militant activement au PS. Et s'il a souvent dit préférer «la fonction tribunitienne à l'exercice du pouvoir», il a pu, notamment à la tête du PS ou à l'Assemblée, cumuler ces deux aspirations.

Devenu le chef de file de la gauche du PS après le référendum sur la Constitution européenne en 2005, dénonçant la créature préhistorique du «Solférinodactyle» qui aurait une aile droite plus grosse que son aile gauche, condamnant le PS à tourner en rond, Emmanuelli était également très proche d'Emmanuel Macron, lui aussi passé par Rothschild. Les deux hommes continuaient à se voir lors des passages de l'ancien président de l'Assemblée nationale à Paris, qui se faisaient de plus en plus rares. François Hollande l'avait nommé à la tête de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et des consignations. Ses derniers coups de gueule visaient à réformer l'institution pour la rendre plus autonome mais surtout réorienter ses bénéfices vers le financement des entreprises et non la réduction des déficits.

Le budget et les Landes

Tempétueux, l'ancien président de l'Assemblée nationale et député PS des Landes, qui se disait volontiers «archaïque et fier de l'être» et goûtait plutôt sa «mauvaise réputation», tirait à boulets rouges, en 2010, sur «l'économie-casino», rappelant que «les liquidités dans le monde progressent […] près de quatre fois plus vite que le PIB». Et enjoignant ses collègues à créer «un régime de responsabilité pour faute des agences de notation.» Il avait d'ailleurs présidé la commission d'enquête parlementaire sur la crise financière de 2007-2008.

Atteint d’une maladie dégénérative qui l’affaiblissait énormément depuis quelques années, Emmanuelli s’était recentré sur son fief local. Amateur d’Armagnac, il avait sauvé les vignes appartenant au conseil départemental pour continuer à produire une eau-de-vie publique qui faisait sa fierté. Depuis de longs mois, il travaillait activement à sa succession politique, préparant l’atterrissage aux législatives de Boris Vallaud, ancien secrétaire général adjoint de l’Elysée, énarque passé par le cabinet d’Arnaud Montebourg. Hospitalisé depuis le début du week-end pour une double bronchite infectieuse, Henri Emmanuelli avait dû renoncer à présider la dernière session du conseil départemental consacrée à ses deux passions : le budget et les Landes.