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Libération
Analyse

Un coup de grâce pour les hollandais

Après les affaires Cahuzac, Thévenoud et Morelle, la chute de Bruno Le Roux, fidèle parmi les fidèles, est un nouveau revers pour les proches du Président.
Bruno Le Roux, après l’annonce de sa démission, à Bobigny, mardi. (Photo Jacques Demarthon. AFP)
publié le 21 mars 2017 à 20h46

Le dîner de travail avec Shinzo Abe se termine à l'Elysée lundi soir. Après avoir jeté un œil distrait au débat télévisé entre candidats présidentiels et fait le point avec Bernard Cazeneuve, François Hollande commente l'affaire Bruno Le Roux. En colère. Au bout dufil, son premier cercle, ses amis. «Franchement», souffle le chef de l'Etat dont le quinquennat se termine dans une ambiance lunaire. Ce qu'on appelle la hollandie depuis vingt-cinq ans est en train d'imploser sous ses yeux.

Au moment où les indicateurs économiques repassent au vert, alimentant les regrets de tous, ministres et conseillers défient son autorité pour filer soutenir Emmanuel Macron, qui est passé en septembre du statut de fils spirituel à celui de traître en quittant le gouvernement pour se lancer dans la course à l’Elysée. Hollande, lui, l’ex-premier secrétaire du PS, repousse son choix de jour en jour. Sa fidélité à sa famille politique est mise à rude épreuve par les sondages qui donnent Macron au coude-à-coude avec Le Pen. Loin, tellement loin de Hamon. Ce qui terrifie le chef de l’Etat, c’est que son ancien protégé devienne un candidat de centre droit aux yeux des Français. Si l’ex-ministre de l’Economie venait à l’emporter en mai, ce serait donc une alternance. Un héritier à moitié vaudrait mieux que pas d’héritier du tout.

«Parpaing». Déboussolés, les plus anciens soutiens de François Hollande se tiennent à carreau. Pour l'instant. A l'exception toutefois de l'ex-conseiller de l'Elysée Bernard Poignant, qui vient d'officialiser son vote pour Macron (lire page 7). Lundi soir, une trentaine de hollandais réunis au ministère de l'Agriculture pour regarder le débat, ont appris en direct sur Twitter la mise en cause de Bruno Le Roux, fidèle d'entre les fidèles du Président. L'homme qui n'a jamais trouvé rien à redire au socialisme de l'offre, à l'affaire Leonarda ou à la déchéance de nationalité. Celui que Stéphane Le Foll a un jour rebaptisé «Bruno Le Relou» dans un lapsus savoureux. La pilule est dure à avaler. «Une semaine qu'il a les journalistes au cul pour cette affaire et il ne prévient personne, ni le chef de l'Etat ni aucun d'entre nous, fulmine un conseiller de l'exécutif. C'est un nouveau parpaing sur le capot du Président. Hollande a raison de dire que rien ne lui sera épargné dans ce quinquennat.»

Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, les hollandais rappellent que de l'affaire Cahuzac est née la Haute Autorité de la transparence de la vie publique et le Parquet national financier, sous l'impulsion du chef de l'Etat. Et que sa main n'a pas tremblé puisque Bruno Le Roux a été démissionné moins de vingt-quatre heures après la révélation des CDD à répétition de ses filles à l'Assemblée. «De bout en bout, Hollande se sera trompé sur les choix humains», lâche un de ses amis qui n'a, lui, jamais été nommé au gouvernement.

Equilibrisme. Au terme de cinq ans de fronde parlementaire qui ont miné son quinquennat, Hollande avait choisi de récompenser Le Roux en le nommant à Beauvau en décembre. Après avoir remplacé Thomas Thévenoud au pied levé en 2014, Matthias Fekl prend sa succession au ministère de l'Intérieur, pour les sept dernières semaines du quinquennat. Présenté par nombre de socialistes comme un futur présidentiable, il est surtout l'un des rares membres du gouvernement à avoir pris fait et cause pour Benoît Hamon. Mais désormais chargé de l'organisation du scrutin présidentiel, il devra prendre ses distances avec le candidat socialiste. Un équilibrisme signé Hollande.

Malgré le vague à l'âme qui affleure parfois, l'équipe élyséenne refuse de dépeindre cette fin de quinquennat en crépuscule. A leurs yeux, Hollande est un «président plein de tonus», qui fait marrer ses conseillers, lancé dans un dernier tour de France pour vanter son bilan. «Les faits, regardons-les : la France, elle est plus forte qu'il y a cinq ans. Puisque peu le disent, je vais le dire à leur place», a-t-il lancé samedi en Isère. Mardi, après avoir reçu Le Roux à l'Elysée pour lui signifier la fin de son bail ministériel, Hollande inaugure la «stratégie française pour l'intelligence artificielle» (lire pages 20-21). Elle «effraie ceux qui s'imaginent irremplaçables, note-t-il. Mais personne ne l'est. Il s'agit simplement d'être bien remplacé». L'histoire ne dit pas si, à ce moment précis, le Président parle du ministre de l'Intérieur, ou de lui-même.