D’ordinaire, la mise à mort des 3 millions d’animaux d’élevage tués chaque jour en France se déroule à l’abri des regards derrière les murs épais des abattoirs. Mais jeudi, les images de panique et de douleur, ainsi que les cris des animaux au seuil de la mort, inondent la salle d’audience du tribunal correctionnel d’Alès, pleine à craquer. Bienvenue au premier procès pour cruauté dans un abattoir français. Le scandale éclate en février 2016, lorsque l’association L214 diffuse des images volées dans l’abattoir du Vigan, une commune cévenole située au nord de Nîmes. Comme le résume Brigitte Gothière, cofondatrice de L214, c’est, sur le papier, un abattoir rêvé : de petite taille, certifié bio, il s’inscrit dans des circuits courts, approvisionne des boucheries locales, garantit de faibles cadences d’abattage… Mais les images tournées entre juin 2015 et février 2016 révèlent une vérité quelque peu différente. Des employés s’esclaffent en torturant un mouton à l’électricité. Un cochon mal «étourdi» agonise sans fin. Des porcelets sont violemment malmenés à coups d’aiguillon électrique sur la tête. Des vaches manifestent une reprise de conscience sur la chaîne d’abattage…
Electrocution. Deux employés de l'abattoir sont poursuivis pour «mauvais traitements infligés sans nécessité», un pour «sévices graves et actes de cruauté». Gestionnaire de l'abattoir, la communauté de communes du Pays viganais est poursuivie, elle, pour «abattage ou mise à mort d'un animal sans précaution pour lui éviter de souffrir». Avec neuf parties civiles (dont L214, la Fondation Brigitte Bardot, One Voice…), les bancs des pro-animaux sont bien garnis. Premier à se présenter à la barre, Gilles Estève, 56 ans, éleveur de bovins bio et vacataire au Vigan, raconte qu'il a «appris à l'école d'abattage à taper dans la bête avec le dessous du pied, un coup très fort» une fois que le bovin a reçu un coup de matador, cet instrument destiné à lui perforer le crâne. «C'est une nécessité de sécurité.»
Puis vient le tour de Marc Soulier, 24 ans. Lui a été licencié par l'abattoir depuis le scandale. Sur les images de L214, on le voit balancer des brebis par-dessus des barrières, porter des coups de poing aux moutons. C'était lui le responsable de la protection animale au sein de l'abattoir : «Mais cette formation, on me l'a imposée» car «personne ne voulait la faire». Boucher de formation, Marc Soulier se dandine à la barre. «Dès 15 ans et demi, on m'a dit : "Dans le métier, il te faut tuer"», raconte ce fils d'éleveur, qui a «appris sur le tas». Amandine Abegg, la présidente, interroge : «Les animaux qui arrivent à l'abattoir, vous les voyez comment ?» Long silence. Il répond finalement : «Comme des animaux.» Lors de son audition par les gendarmes, qui lui ont décrit cette scène où il s'amusait à électrocuter des brebis avec une pince à électronarcose (appareil destiné à «étourdir» l'animal avant de le saigner), cet employé a répondu : «Sur ce coup-là, j'admets que je me suis amusé avec cette bête. […] C'est juste parce que sur l'instant cela m'amuse […] et en plus je vois que ça fait rire mon collègue.» A l'audience, la diffusion de ces images scandées par de gros éclats de rire provoque un haut-le-cœur. Tête baissée, le jeune homme lâche : «On a été filmés ce jour-là, on n'a pas eu de chance.»
«Ça marchait plus». Le matériel, notamment celui destiné à «étourdir» les animaux par décharge électrique, est plusieurs fois mis en cause. «Les pinces [à électronarcose], elles marchaient une fois sur dix. Par exemple, ça marchait parfaitement sur trois agneaux, et puis pour le quatrième, ça marchait plus», raconte encore Marc Soulier. «On a dépensé dans cet abattoir plus d'un million d'euros, se défend Roland Canayer, président du Pays viganais. Il est vrai que ces pinces posaient de gros soucis. Elles fonctionnaient quand même… mais pas normalement.» Me Lionel Marzials, avocat de trois associations parties civiles, n'attend pas de miracle de ce procès. «On aura au mieux des peines avec sursis pour les actes les plus graves.» Au-delà des simples contraventions, la plus forte peine encourue est de deux ans de prison et 30 000 euros d'amende. Les débats se poursuivent ce vendredi, puis le jugement sera mis en délibéré.
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