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Histoire

Grève générale et dialogue bloqué : la crise en Guyane dans une impasse

Encadré par le collectif les 500 Frères contre la délinquance, le blocage du département s’étend. Un appel à la grève a été lancé à partir de ce lundi, malgré l’arrivée d’une délégation ministérielle.
Le collectif les 500 Frères contre la délinquance, à Cayenne, samedi. (Photo Jody Amiet. AFP)
publié le 26 mars 2017 à 19h56

Une voiture de luxe ouvre le bal. Derrière elle, un bus rempli d’hommes cagoulés qui déclenche les vivats. Le collectif les 500 Frères contre la délinquance casse la baraque partout où il va. Cagoulés, habillés de tee-shirts ornés d’armes à feu et d’une épée, la démarche assurée, ils sont les zapatistes du blocage qui paralyse la Guyane depuis jeudi.

Eux protestent contre l'insécurité qui frappe le département d'outre-mer. En parallèle, un mouvement regroupant salariés grévistes, chefs d'entreprise ou simples citoyens dénonce les «retards structurels en Guyane». Il réclame du gouvernement un plan massif de «rattrapage» «sanitaire, économique, éducatif, sécuritaire, foncier et énergétique». Et a appelé à la grève générale illimitée à partir de ce lundi.

«C'est super les 500 Frères ! Grâce à eux, on va faire des choses pour le social, la santé, la finance, la sécurité. La Guyane va se lever», s'enthousiasme à leur passage une mère de famille présente sur le barrage de Sainte-Rose-de-Lima, une localité arawak à 2 kilomètres de l'aéroport, qui est devenu très calme : les vols depuis Paris n'atterrissent plus «jusqu'à nouvel ordre».

«Oubliés». «Ce sont les enfants du pays qui sont devenus des vedettes, ils remplacent dans les esprits la police, qui ne joue pas son rôle pour protéger les citoyens», analyse un Guyanais présent sur la route du collectif. «Les 500 Frères ne sont pas des leaders. C'est vrai qu'ils s'imposent, mais je crois que leur mérite, c'est d'avoir catalysé les frustrations», estime un de leurs sympathisants. Après avoir fait fermer la mairie, les Frères ont fortement incité les magasins à baisser leur rideau partiellement pour faire de Cayenne «une ville morte». «Ce n'est pas pour faire peur. Mais si ça marche, tant mieux.»

Au rond-point de Sainte-Rose, filtré depuis jeudi par plus de 200 riverains, l’ambiance est conviviale. Ce nœud routier compte parmi la quinzaine qui s’égrène le long de l’axe littoral, et désormais dans des communes de l’intérieur, situées jusqu’à une heure d’avion de la façade atlantique.

Salariés, chefs d'entreprise, retraités, militants autochtones se sentent «oubliés de la République» et sont «déterminés» à faire avancer leurs dossiers enlisés depuis «vingt, trente ans». Comme l'assainissement du centre hospitalier de Cayenne, pourtant ultrasubventionné, où, il y a cinq mois, cinq grands prématurés sont morts des suites d'une infection nosocomiale. Ou encore de vraies perspectives pour la jeunesse (le taux de déscolarisation est le plus élevé de France), la lutte contre la criminalité (avec une force policière renforcée) ou la «rétrocession foncière» aux Amérindiens.

«Il faut arrêter de parler de la Guyane uniquement par rapport au spatial, peste l'un des organisateurs du mouvement. On a peur pour nos enfants : le chômage, la délinquance… 90 % des terres appartiennent à l'Etat !» «Le dialogue a été mal conduit par la préfecture depuis des années, c'est aussi ça le problème de fond», estime une syndicaliste.

«Lisier de porc». A la direction de l'agriculture et de la forêt, à Cayenne, quelque 200 agriculteurs ont investi les bureaux désertés. Vendredi, ils ont arrosé le fronton de la préfecture de  «6 000 litres de lisier de porc» pour dénoncer le retard des subventions européennes de 2014. «Il y a une inertie au niveau de la collectivité territoriale de Guyane [gestionnaire des fonds européens, ndlr] qui est assez fabuleuse, et des agents de l'Etat défaillants. Les jeunes qui s'installent, et même ceux en vitesse de croisière, vont au casse-pipe», souffle Jean Mornand, membre de la FNSEA, premier syndicat agricole français. Pour lui, la crise est en train de tomber «un peu dans une impasse» : «Il y a deux mouvements qui se dessinent : un groupe qui veut négocier avec la mission interministérielle envoyée par le gouvernement, et l'autre, plus extrémiste, qui refuse.»

Samedi, une délégation menée par Jean-François Cordet, conseiller maître à la Cour des comptes et ancien préfet de Guyane, est arrivée à Cayenne pour «enclencher le dialogue». A ses côtés, Michel Yahiel, commissaire général de France Stratégie et ex-conseiller social de François Hollande, et Joël Barre, ancien directeur du Centre spatial guyanais. Au cours d'un point presse, Cordet a donné le feu vert pour un «scanner» à l'aéroport afin de «détecter les mules» (les passeurs de drogue), ce qu'avait rejeté en décembre 2015 le ministre de l'Intérieur d'alors, Bernard Cazeneuve. Il a aussi rassuré sur le paiement des aides européennes. Charge maintenant à la délégation de «dialoguer» : depuis deux jours, quasiment personne ne veut s'entretenir avec elle. La rue, les patrons et 13 des 22 maires du département exigent la venue d'un ministre.

«On n'arrive pas à tracer une cohérence qui ne soit pas contrariée par les intérêts de l'élection. Il y a aussi ce pouvoir pris par les 500 Frères, s'agace un cadre syndical. Si on refuse de voir les techniciens pour poser les bases de ce qui pourra donner lieu à des négociations, c'est un peu dommage.»

«Nous ne parlons que sur l'insécurité», rétorque Mickaël Mancée, porte-parole des 500 Frères et «policier mis en disponibilité» selon le site Guyaweb. «S'il s'agit de parler énergie, enseignement, santé, ce sont les syndicats, socioprofessionnels, qui le feront.»