«Les questions sont traitées avec beaucoup d'incuries par les deux ministres», exprime un membre du collectif qui encadre le mouvement de colère en Guyane depuis deux semaines. Le plan à 1,085 milliard annoncé samedi par les ministres de l'intérieur et des Outre-mer, Matthias Fekl et Ericka Bareigts, est jugé trop faible. Le départ de Matthias Fekl, quelques heures après l'annonce, a fini d'enfoncer le clou.
Samedi en début de soirée, après des heures de réunions internes, le collectif a livré ses «contre-propositions» à la ministre des outre-mer, au cours d'un échange à la préfecture de Guyane. Et affirmé qu'il allait «négocier de façon ferme». Les annonces en termes d'éducation, de la santé, de l'énergie, entre autres, sont jugées insuffisantes. Dimanche matin, les discussions étaient suspendues.
En plus de la petitesse de l'enveloppe, il est reproché aux ministres de ne pas avoir répondu à l'intégralité des attentes. Pouvait-il en être autrement en 24 heures devant un tel cahier de revendication (plus de 400 pages) ? «Evidemment on ne s'attendait pas à être satisfaits dès le premier tour, donc on s'attendait à une déception, mais elle est forte car on se rend compte qu'il va falloir travailler encore», a exprimé la présidente de la confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) Joëlle Prévôt-Madère. «Il n'y a rien concernant le besoin d'aides pour le paiement des dettes sociales des entreprises ; ni sur le carburant. Nous voulons nous approvisionner directement auprès des pays environnants et notamment le Suriname puisque qu'il a désormais un carburant aux normes», poursuit-elle.
Au sujet de l'attente depuis de nombreuses années de la construction «d'une cité judiciaire à Cayenne», le bâtonnier du barreau de Cayenne, Magali Robo-Cassildé a rappelé que la profession est «intransigeante». En ce qui concerne l'éducation, Ericka Bareigts a parlé d'un «retard considérable». Elle a annoncé «250 millions d'euros pour cinq ans pour la construction d'établissements scolaires» du second degré, ce qui n'a pas semblé convaincre le pôle éducation du collectif.
Les revendications autochtones ajournées
«Globalement, on n'est pas satisfaits. Ils bottent en touche sur tous les sujets», exprime Jean-Philippe Chambrier, coordinateur général à la fédération des organisations autochtones de Guyane (Foag). L'annonce du doublement des postes d'intervenants en langue maternelle «dès la rentrée 2017», c'est «bien, mais maintenant il faut qu'ils aient vraiment un statut et une formation».
Sur les deux questions cruciales portées par les six nations amérindiennes de Guyane que sont le foncier et la reconnaissance de l'autochtonie, Chambrier estime que l'Etat joue la montre. Ericka Bareigts vient de demander au «Conseil d'Etat de confirmer la position de la CNCDH (commission nationale consultative des droits de l'homme)» qui appelait le gouvernement, en février 2017, à ratifier la convention, dans la mesure où elle «n'a pas pour objet ou effet juridique de promouvoir le séparatisme», mais «permettrait de poser un socle de protection et d'assurer une reconnaissance de ces peuples et de leur diversité».
En ce qui concerne la cession foncière à la collectivité territoriale de Guyane (CTG) de «250 000 hectares» promise par Ericka Bareigts, «on nous dit qu'on aura des terres, mais on n'a pas le nombre d'hectares attribués. Ce n'est pas concret. Et puis les hectares seront cédés à la collectivité territoriale de Guyane qui va les partager comme elle veut», estime le coordinateur de la Foag.
La culture, «grande oubliée»
En 2009, les états généraux de l'Outre-mer en Guyane, impliquant le gouvernement et les collectivités locales avaient acté comme prioritaire la «promotion de la diversité, de la culture, de la mémoire». Huit ans plus tard, alors que la politique culturelle de la collectivité territoriale de Guyane (CTG) est vivement critiquée, le gouvernement n'a pas retenu comme prioritaire le champ culturel. Pour le comédien guyanais, Grégory Alexander, c'est normal puisque jusqu'à samedi cet angle était le grand absent du collectif. «Il nous faut un plan urgent pour la formation supérieure, continue et la formation initiale. Il faut créer des petites structures et mailler le territoire. La culture est au centre du projet de société.» Par exemple, l'ambitieux projet de la Maison des cultures et des mémoires de Guyane, décidé en 2010 par Frédéric Mitterrand lorsqu'il était ministre de la Culture est au point mort depuis décembre 2015. Ce projet envisagé à plus de 60 millions d'euros, a été évacué du plan pluriannuel de l'investissement 2016-2020 de la CTG, «pour des raisons financières» malgré 20 millions d'euros d'engagés.