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Analyse

En Guyane, le sous-investissement déclaré anémie publique numéro 1

Ressources naturelles pillées, faible secteur privé, difficultés budgétaires… Le territoire, toujours bloqué, est victime d’une gestion déconnectée de ses besoins.
A Cayenne, jeudi. (Photo Jody Amiet. AFP)
publié le 7 avril 2017 à 19h06

Alors que la Guyane est bloquée depuis plus de deux semaines et que les vivres commencent à manquer dans les épiceries, le milliard d'euros promis par l'Etat ne satisfait pas le collectif guyanais «Pou la Gwiyann dékolé» («pour que la Guyane décolle»). Il demandait 2,5 milliards d'euros, il en réclame désormais 3,1. Une différence qui justifie que «le mouvement continue, que les barrages restent en place pour l'instant», a indiqué Davy Rimane, un de leurs porte-parole. Le gouvernement table sur un essoufflement. Si un accord a été trouvé pour la réouverture de l'aéroport de Cayenne, vendredi, la situation reste néanmoins tendue dans une région étranglée sur le plan économique et social.

Avec 22 % de chômage et 44 % de pauvreté, le territoire peine à maintenir la tête hors de l’eau. Seul le spatial, dépendant de l’investissement public, permet de dynamiser l’économie. Vitrine industrielle avec 11 lancements réussis en 2016, le secteur représente 16 % du PIB du département et 12 % de l’emploi, selon l’Insee, et génère 25 % des recettes fiscales. Mais cela ne suffit pas car les autres filières font grise mine.

Le secteur primaire, par exemple, ne représente que 3 % du PIB. Pourtant, les ressources naturelles sont nombreuses en Guyane (l’or, la forêt…), mais elles peinent à être exploitées, faute d’investissement. Quand elles ne sont pas pillées.

Orpaillage. Depuis les années 90 et la hausse importante des cours de l'or, la Guyane subit une ruée vers l'or. Forêts dévastées, rivières polluées, populations menacées et contaminées au mercure : l'orpaillage illégal est un fléau sanitaire, social et économique. Selon le WWF, dix à douze tonnes d'or seraient exfiltrées chaque année tandis que la production annuelle déclarée oscille entre une et deux tonnes.

Le tableau global est tout aussi sombre. En 2013, un rapport sévère de la chambre régionale des comptes pointait «la dégradation financière du département depuis 2005», soulignant la baisse de «près de 45 % entre 2005 et 2010» de sa capacité brute d'autofinancement. Elle notait aussi, pour les personnels de la collectivité, l'absence de «bilan social depuis 2003». Elle s'étonnait par ailleurs que «le conseil général ne dispose d'aucune information sur le temps de travail» de ses fonctionnaires, de sorte qu'il lui est impossible de calculer «les équivalents temps plein des effectifs».

Ces lacunes sont d'autant plus dommageables que l'économie guyanaise repose presque entièrement sur le secteur non marchand. «Ce sont les services publics qui fournissent de l'emploi. Et c'est pareil pour les investissements», explique Olivier Sudrie, économiste spécialiste de l'outre-mer. Selon l'Insee, un tiers des actifs étaient dans la fonction publique en 2014. Et le ministère du Budget affirme que 1,6 milliard d'euros, soit 40 % du PIB régional, ont été transférés par l'Etat en Guyane la même année. Si la région est aussi dépendante du public, c'est parce que le secteur privé y est très «mal développé», regrette Olivier Sudrie.

La Guyane, 30 % moins productive que la métropole, souffrirait d’un manque d’attractivité, selon l’économiste. La main-d’œuvre y est moins qualifiée : 50 % de la population est peu, voire pas diplômée du tout. De plus, les coûts de production y sont particulièrement élevés et les entreprises rechignent à s’y installer. Pour satisfaire ses besoins, la Guyane est dépendante des importations, y compris en bois, alors que la forêt couvre 96 % de son territoire. En 2015, elle a importé 1,2 milliard d’euros de produits, alors qu’elle n’a récolté que 138 millions de ses exportations. Son économie n’est tournée que vers la consommation, d’où un déficit commercial particulièrement difficile à combler.

Natalité. De plus, malgré des avantages fiscaux, le département doit emprunter. D'autant que «la grande collectivité territoriale a des besoins colossaux, notamment en matière d'éducation», explique Olivier Sudrie. Car la population ne cesse d'augmenter. Il y avait 250 337 habitants en 2015, il pourrait y en avoir 574 000 d'ici à 2040, selon l'Insee. Avec plus de 40 % de moins de 20 ans. La croissance démographique, due à la natalité et à l'immigration, absorbe la moindre hausse du PIB.

S'ajoute «un problème de gestion» de la part des élus locaux, estime Olivier Sudrie : la collectivité croule sous les dettes. En 2015, le ministère des Finances notait qu'il manquait 27 millions d'euros dans les caisses guyanaises. La Guyane ne parvient même plus à payer ses fournisseurs. «Il faut souvent que les entreprises attendent soixante-dix jours avant de recevoir leur dû», note l'économiste. Ces problèmes de gouvernance poussent les habitants à la «défiance envers les politiques locaux». Pour Olivier Sudrie, les négociations entre gouvernement et collectif sont donc loin d'être des «comptes d'épiciers». Il estime l'aide d'urgence indispensable, mais aimerait des mesures sur le long terme : «Ce qu'il faudrait faire aujourd'hui, c'est changer le modèle économique guyanais. Il faut définir un réel pacte de compétitivité, productivité et croissance.» Pas gagné.