Menu
Libération
Décryptage

Guyane : le collectif «Pou La Gwiyann dékolé» décrète l’état de «blocage total»

Dimanche, les leaders du mouvement social ont annoncé un durcissement de leurs actions. Mais des voix s’élèvent contre l’impossibilité de circuler.
A Cayenne, vendredi, heurts devant la préfecture. (Photo Jody Amiet. AFP)
publié le 9 avril 2017 à 20h36

L'étau se resserre en Guyane. Dimanche, le collectif «Pou La Gwiyann dékolé», qui pilote le mouvement social depuis plus de deux semaines, a annoncé le blocage «total» du département à partir de lundi. Les barrages érigés dans les villes guyanaises et sur les axes majeurs du territoire, long de 500 kilomètres, empêchent voitures et pirogues de passer. Certains jours, ou pendant quelques heures, ils sont levés par les manifestants pour permettre aux citoyens de se rendre aux «meetings» publics et aux «marches» organisés par le front, ou pour «ravitailler» en denrées alimentaires et carburant. A partir de dimanche minuit il y aura «fermeture totale jusqu'à nouvel ordre», avec «interdiction», même pour les personnes voulant passer «à pied», «à moto» ou «à vélo», de les franchir, a affirmé l'un des porte-parole sur la radio Péyi. L'équation est la suivante : le mouvement doit-il perdurer ou être suspendu jusqu'à la prise de fonctions du nouveau président ? Et ce, alors que la réprobation populaire est croissante ?

Pourquoi un «blocage total» ?

Les «porte-parole» du collectif veulent faire sortir le chef de l'Etat de son silence. «Il faut qu'il montre qu'il a de l'intérêt pour les Guyanais et même s'il donne une réponse négative, il doit réagir», estime un porte-parole du collectif de Maripasoula. Les mobilisés veulent que François Hollande «réévalue le financement et la mise en œuvre du pacte de développement et du projet guyanais». En somme, qu'une enveloppe de 2 milliards d'euros soit «immédiatement» attribuée au territoire français d'Amazonie plutôt que celle de 1 milliard votée en Conseil des ministres le 5 avril.

Dans une lettre ouverte adressée samedi à François Hollande, les quatre parlementaires guyanais (PS et DVG) l’invitent à réagir vite : «La Guyane attend aujourd’hui un engagement ferme de l’Etat pour lui permettre de s’engager sur la voie d’un développement serein et durable. Une déclaration forte de votre part en ce sens serait, nous en sommes convaincus, de nature à rassurer la population guyanaise.»

Le collectif demeure-t-il uni ?

Globalement, les composantes du collectif Pou La Gwiyann dékolé (les riverains et citoyens, les enseignants, les transporteurs, les syndicalistes, surtout ceux de l'Union des travailleurs guyanais-UTG…) «restent solidaires». Cependant, de nombreuses réunions se sont tenues dimanche après-midi pour décider de l'écho à donner à l'appel au durcissement du mouvement par les chefs de barrages.

«On reste mobilisés à Saint-Laurent mais le mouvement est moins dur qu'à Cayenne, où il y a la préfecture, et à Kourou, le Centre spatial guyanais (CSG)», disait dimanche Christophe Pierre, référant de l'un des deux barrages installés dans cette commune. «Au niveau de notre barrage autochtone, jusqu'à présent il n'a jamais été question de bloquer les gens à deux roues et à pied, nous restons respectueux de la libre circulation», poursuit-il.

«Au sein même de chaque pôle [énergie, économie, santé, éducation, etc.] la prise de décisions collégiale est déjà compliquée, et en plus, au sein même du collectif, c'est encore plus compliqué. On manque de transparence. Le collectif ne marche pas de manière démocratique», déplore un membre du mouvement, sous couvert d'anonymat.

Quelles sont les issues possibles ? 

Le mouvement tient, mais un front est en train de se lever contre le blocage de la Guyane. Et l'appel à ouvrir les entrées des villes et villages prend de l'ampleur. D'autant que depuis trois semaines, les forces de l'ordre et le préfet Martin Jaeger tolèrent en guise d'apaisement l'obstruction des carrefours. «On commence à trouver le temps long», témoignait dimanche Jean Dominique, un chef d'entreprise, qui a gelé son activité depuis trois semaines.

Une pétition en ligne «adressée au préfet pour le droit de circuler» a recueilli près de 1 300 signatures en quelques jours. Un nombre grosso modo équivalent à celui des personnes mobilisées sur les ronds-points. Une page Facebook, partagée par plus de 700 internautes, hostiles à la méthode du collectif, a aussi vu le jour : «Les revendications de départ sont nobles, mais ce n'est que le prochain gouvernement qui pourra faire quelque chose.»

La grogne monte aussi chez les acteurs économiques : le Medef a appelé à l'arrêt d'une situation asphyxiante. Les agriculteurs ont repris le travail et souhaitent pouvoir à nouveau circuler et alimenter les étals. S'il reste à manger dans les magasins, certaines denrées comme les produits frais et de boulangerie manquent. Les distributeurs de l'agroalimentaire agitent le spectre de la pénurie à cause de l'impossibilité pour les transporteurs transatlantiques de décharger les marchandises. Selon Philippe Lemoine, directeur général de la société Grand Port maritime, 1 350 conteneurs ont été bloqués et «il faudra deux à trois semaines» pour acheminer les produits dont les plus fragiles auront déjà péri.