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Libération
Reportage

A Saint-Bonnet-les-Oules, des tracts et des tracteurs contre la prison

Dans le village cossu de la Loire, la mobilisation contre le projet de construction d’une maison d’arrêt bat son plein. Mais l’Etat ne semble pas près de céder.
A Saint-Bonnet-les-Oules, dimanche. Les habitants sont inquiets, car «il y a toujours des évasions, des gens en cavale». (Photo Bruno Amsellem pour Libération)
publié le 10 avril 2017 à 20h27

Sur la colline verdoyante, de grandes lettres blanches se détachent dans un style hollywoodien. «Non à la prison», lit-on en guise de bienvenue à Saint-Bonnet-les-Oules, commune de 1 600 habitants, à vingt minutes de Saint-Etienne. Ce n'est qu'un début. Le même slogan est placardé sur presque tous les portails des coquettes villas, sur les murets immaculés, sur le toboggan au centre du village, sur les jardinières… «On lâche rien», répètent inlassablement les habitants de «Saint-Bo'», havre de paix pour Stéphanois aisés (un temps vainqueur du palmarès des plus hauts revenus fiscaux de la Loire), avec sa boulangerie, son école privée et sa foire de poterie.

Guy Françon, le maire «sans étiquette» tend le bras pour montrer l'emplacement de la future «verrue» de 30 hectares sur la carte postale. C'est juste en bas, à droite de l'usine SNF et du Casino. D'ici à 2023, un établissement pénitentiaire d'une capacité de 500 places doit remplacer les pâturages. Le projet - qui date du plan Taubira de 2014 dit «des 3 200» - vise à désengorger La Talaudière, prison vétuste de Saint-Etienne.

C'est en lisant le journal, en octobre, que l'élu a reçu le «choc». Jusqu'à présent, c'est la commune de Roche-la-Molière qui aurait été pressentie pour les projets carcéraux. Est-ce parce qu'elle accueille déjà un site de traitement des ordures qu'elle a été exonérée de taule ? Le site ne répond-il pas au cahier des charges ? Mystère. «Magouille, rectifie Guy Françon. On se refile la patate chaude. Je ne suis pas encarté, les maires autour sont soit au Sénat soit députés. Alors, on se dit "le petit maire de Saint-Bonnet, il est pas connu, il ne dira rien".»

Usine Seveso

Sur la terrasse ensoleillée, devant la mairie, il déploie une carte pour dresser, visuel à l'appui, la «liste des aberrations». Selon lui, le terrain choisi est situé sur des terres agricoles, dans une zone inondable, proche d'une usine classée Seveso, sur une nappe phréatique, survolé par les avions de l'aéroport et à côté d'une ligne haute tension. «C'est une incohérence totale, il n'y a même pas de transports en commun jusqu'ici», achève Cassandre Janvier, première adjointe. Autant de critères qui ne correspondent pas au cahier des charges.

Malgré tout, lors d'une synthèse rédigée en 2015, l'administration préfectorale évoque «une topographie optimale (terrain plat)», «l'accessibilité routière» et «un secteur à vocation industrielle». Dans une lettre au sénateur de la Loire, le garde des Sceaux précise que «la commune de Saint-Bonnet-les-Oules présente en l'état les meilleures caractéristiques» parmi les six terrains présélectionnés.

Si certaines municipalités se disputent les établissements pénitentiaires, facteurs de développement, ici l’argument est vain. Il n’y a plus aucun logement constructible et le taux de chômage est presque négligeable. Alors Guy Françon remue terres et friches à la recherche de solutions alternatives tant que rien n’est signé.

Dimanche, pour la cinquième fois, les habitants ont organisé une manifestation contre «la maudite prison». Plus précisément «un rassemblement médiatique». L'association «Non à la prison» mène le défilé, précédée par des dizaines de tracteurs. «On a le sentiment de se faire rouler dans la farine, on remet en cause le sérieux de l'étude», martèle Stéphanie, professeure, installée depuis 1996. Jean-Christophe, aussi membre du collectif, ajoute : «On craint pour nos enfants, pour nos maisons qui vont être dévaluées. Ce ne sont pas les détenus qui nous font peur mais ce que ça va drainer.»

Fantasmes

Dans le cortège composé de «1 500 personnes» selon les estimations optimistes des organisateurs, se mêlent contestation du terrain et fantasmes sur l'univers carcéral. «C'est dangereux pour les enfants, il y a toujours des évasions, des gens en cavale», estime une habitante de Veauche, le village voisin. D'autres craignent même des attentats car «on est en Vigipirate écarlate». Les manifestants s'arrêtent dans un vaste pré en surplomb de la zone qui doit accueillir la prison. Ils imaginent les miradors à la place des vaches. Frédéric, l'un des trois agriculteurs touchés, se désole : «Si on enlève ces terrains agricoles, Saint-Bonnet perdra son identité. Ce sera simplement un village dortoir.» La sénatrice PCF de la Loire Cécile Cukierman appelle à temporiser : «Il y a un sentiment de grande opacité dans la population. Je pense qu'il faut prendre le temps et ne pas s'interdire de regarder d'autres sites.»

Contacté par Libération, le ministère affirme que la décision «est actée». En l'absence de propositions d'autres terrains, le site reste donc favori. «Il y a certains freins mais rien d'incontournable», précise-t-on en interne.