Cela ressemblait au crime parfait : Manuel Valls, apôtre professionnel de la communication politique, narcisse socialiste en chef, était pris la main dans le sac de l'autocélébration. La preuve par Envoyé spécial, qui a déniché un sondage de 53.520 euros consacré au «bilan d'image du Premier ministre» datant de juin 2014. D'où il ressortait, entre autres, que l'ancien chef du gouvernement était vu par les Français comme un «modèle de réussite ascensionnelle» et un «pur produit du modèle républicain», ayant des valeurs et doté d'une «énergie exceptionnelle». Parfois «mal maîtrisée», cette dernière conduisait certains sondés à comparer Valls à «une hyène, un chacal, un rapace, des symboles répulsifs de la convoitise, de l'avidité et par extension de l'arrivisme sans limite». S'en suivaient aussi des commentaires sur sa frange ou ses oreilles dissymétriques. Et son bilan au ministère de l'Intérieur «plutôt à droite». Le reportage diffusé jeudi soir sur France 2 affirmait également que 43% du contenu des sondages commandés par le Service d'information du gouvernement (SIG) seraient consacrés à cette sacro-sainte image du chef du gouvernement.
Un budget «image» en baisse
Sauf que loin du scoop médiatique, la réalité politique et financière est un tout petit peu plus complexe. Prenant le temps de faire ses propres calculs, le SIG a riposté vendredi à la mi-journée. D’abord, tous les Premiers ministres bénéficient une fois par an d’une telle étude sur leur image qui coûte en moyenne 50 000 euros. Il y a donc quelque part au SIG un document contenant les comparaisons animalières de Jean-Marc Ayrault, les avantages du couple de Jean-Pierre Raffarin ou une démonstration des qualités politiques intrinsèques des sourcils de François Fillon. Ensuite, la part consacrée à l’image dans les études commandées par le SIG atteint 16,7% et non 43%. Par ailleurs, le «focus sémiologique» contenant toutes les réponses invraisemblables sur les cheveux de Valls ou sa ressemblance avec un lion représente une part minime (3 000 euros) de l’addition totale. Enfin, le budget consacré aux enquêtes d’opinion depuis 2012 est stable mais la part dédiée à l’image des Premiers ministres est, elle, plutôt en baisse sur la fin du quinquennat. Bernard Cazeneuve, nommé en décembre, a quant à lui demandé qu’on renonce à une étude de son image vu la brièveté de son bail à Matignon.
«On véhicule une fois de plus l’idée qu’ils sont tous pourris»
«On ne peut pas dire que les politiques sont hors sol et leur reprocher ensuite d'essayer de s'adapter aux attentes de la société française quand des problèmes leur remontent», défend un conseiller de l'exécutif. Mais, au-delà d'une hyper-personnalisation du pouvoir toujours plus grande, ce sont les additions qui affolent. «Un euro, c'est un euro, et le dépenser pour savoir si la frange de Manuel Valls est coupée trop droite ou si ses oreilles sont trop asymétriques, c'est indécent», reconnaît un autre conseiller ministériel. L'étude de juin 2014 en cause a nécessité huit groupes de travail pour constituer un panel représentatif de la société française, le SIG demandant à l'institut Ipsos de mettre le paquet pour cette première analyse consacrée à Valls deux mois après son arrivée à Matignon.
Devant la polémique, Manuel Valls a gardé le silence vendredi, mais l'affaire prend forcément un tour politique puisque la gauche avait promis de rompre avec les pratiques de Nicolas Sarkozy, qui aurait commandé pour plusieurs millions d'euros de sondages qualitatifs quand il était à l'Elysée. D'autant plus que le SIG a été dirigé pendant trois ans par l'un des intimes de Valls, Christian Gravel. Et que ce dernier a été remplacé il y a peu par Virginie Christnacht, jusqu'alors en charge du service de presse de l'Elysée, sous François Hollande. «A une semaine du premier tour, on véhicule une fois de plus l'idée qu'ils sont tous pourris, se désole un proche de Valls. C'est au mieux médiocre, au pire malhonnête.»