Pendant la présidentielle, Libération sonde chaque jour des lieux de la «France invisible». Ce vendredi, une brasserie de campagne aux Abrets, en Isère.
Yves et Robert, amis depuis vingt ans, partagent le plat du jour du Gambetta. Robert, 67 ans, ancien ouvrier dans le textile, a fait son choix : «J'ai toujours voté à gauche, je vais continuer. J'apprécie beaucoup le PS qui a fait beaucoup pour les ouvriers, la retraite à 60 ans, les 35 heures, etc. Alors j'ai des amis au PS, des gens en poste aujourd'hui, ils m'ont parlé : ils votent Macron. Et puis j'ai entendu Hollande il y a deux trois jours à la télé, et ça a fini de me décider : il y en a deux, Le Pen et Mélenchon, s'ils passent, c'est la faillite du pays. Je vais voter Macron.» Voter Hamon, ce n'est pas voter PS ? «Hollande lui avait donné une bonne place au gouvernement, il s'est opposé, il va disparaître et il ne pourra s'en prendre qu'à lui. J'ai trop d'amis au PS, je ne peux pas me défiler…»
Yves, représentant retraité, ricane : «Hamon, il n'a pas la stature, il ne fait pas le poids. Cette primaire, c'était une plaisanterie, entre lui et Valls la girouette… Le vrai mec de gauche, celui qui n'a pas changé de position, c'est Mélenchon. Ceci dit, je ne suis pas encore décidé : la seule chose que j'exclus, c'est Fillon l'escroc !» Robert le reprend : «L'an dernier, j'ai perdu 50 euros par mois sur ma retraite. Jean-Luc Mélenchon, avec ce qu'il a promis à ceux qui ne travaillent pas, il va amplifier le mouvement ! Ceux comme nous qui ont une bonne retraite, on va passer à l'as.»
Pour Yves pourtant, il y a plus important : «La France vit sur ses institutions vieillottes, son Sénat, son code Napoléon, son 49.3… On est un vieux pays et si on ne réforme pas dans un sens ou dans l'autre, ça va pas le faire. Je n'exclus pas de voter Le Pen d'ailleurs : il faut du radical. Les idées de Mélenchon rejoignent celles de Le Pen, ça va dans le même sens : la contestation, la remise en cause. Je me déciderai dimanche matin, ce sera selon l'humeur du moment…»
Robert avance un argument : «Avec Le Pen, ce sera la guerre civile en trois jours !» Yves, sourit, pas impressionné. Ils se resservent un rosé et trinquent : le débat n'ira pas plus loin.