Chaque vendredi, Thierry Mandon, secrétaire d’Etat à l’Enseignement supérieur, chronique la campagne électorale.
Insondable opinion. Ce ne sont pourtant pas les techniques qui manquent depuis que se sont ajoutés aux enquêtes sur échantillon représentatif le big data et autres outils du numérique. Rien n’y fait, le citoyen demeure imprévisible, le tableur Excel est une prison ouverte à tous vents. Quand les données sont vaines, on convoque les concepts. Et là, ils font florès. Le vote utile ? Un concours de pronostics bâti sur une hypothèse boiteuse puisqu’elle postule qu’il n’y a qu’une place disponible au deuxième tour. Ainsi piégé, l’électeur redevient prévisible. Il doit accepter de s’automutiler pour choisir le moins pire dès le premier tour. Dans cette élection, cela concerne surtout la gauche. Jusqu’à l’absurde. On lui suggère d’abandonner son candidat naturel pour rejoindre la marche d’un candidat qui se défend d’être de gauche. On comprend son trouble. Sophistication ultime du vote utile : le vote honteux. Il s’agit pour quelques torturés de se saisir du vote utile pour reconnaître vouloir voter pour un candidat avec lequel ils sont d’accord mais ont mauvaise conscience à l’être. Le vote utile comme blanchiment du vote en somme.
Autre bouée de secours des pronostiqueurs : le vote caché. Il serait l’apanage d’électeurs qui savent très bien ce qu’ils veulent faire mais ne le disent pas. Là, c’est plutôt droite et extrême droite qui sont concernées. Il suffirait donc d’anticiper cette marge d’erreur, de corriger les sondages. Pas facile néanmoins de prédire l’ampleur du dissimulé ; on le verra dimanche.
D’autant plus qu’on sous-estime, particulièrement dans cette élection chaotique, le poids du vote secret, ce moment de solitude extrême, dans l’isoloir qui porte bien son nom, où le citoyen, face à lui-même, loin du tohu-bohu de l’info en continue et de l’overdose de sondages, choisit en conscience ce que sera son vote. Un quart des électeurs cette année seront dans ce cas. Cette solitude est un aveu, celui de l’effondrement de nombre de solidarités de classe, d’identité, territoriales… qui renvoie chaque citoyen à lui-même, pour le meilleur ou pour le pire.
Mais elle est aussi notre chance. Le premier tour d’une élection ne doit pas appartenir aux machines à calculer, aux pronostics approximatifs, à l’effet de mode et aux stratégies de gribouilles qui en découlent. Il doit rester un moment d’expression de convictions, une forme d’acte de foi dans un débat démocratique qui rend chaque citoyen libre et responsable de son choix. Ce que je crois plutôt que ce que je prévois. C’est ce que je ferai dimanche. On se sent bien d’avoir cette liberté.