Menu
Libération
Discrimination

Se disant victime de racisme, une inspectrice du travail est menacée de sanction

Henriette Henry, inspectrice du travail guyanaise, affirme avoir été traitée de «négresse» par sa supérieure, après plusieurs années de harcèlement. Elle risque pourtant un blâme pour avoir répliqué.
. (Photo Fred Tanneau. AFP)
publié le 21 avril 2017 à 12h37

Depuis six ans, Henriette Henry, inspectrice du travail guyanaise, dénonce le harcèlement moral exercé par une supérieure venue de métropole. Mais ce jeudi, c'est elle qui a dû rendre des comptes, à Paris, devant une commission de discipline. Ironie du sort, la quadragénaire pourrait écoper d'une sanction pour des propos racistes, dont elle se dit pourtant victime…

En 2010, Henriette Henry obtient sa nomination comme contrôleuse du travail à Cayenne, d'où elle est originaire. Une inspectrice arrivée de métropole la rejoint. Leur relation tourne au vinaigre : la contrôleuse dénonce une avalanche de «propos méprisants». Sa supérieure la changerait sans cesse de secteur – «six fois en huit mois» – l'empêchant de boucler ses dossiers. Dès 2012, elle assure avoir saisi sa direction et les ressources humaines du ministère du Travail, sans effet. Une plainte pour harcèlement est aussi classée sans suite.

«Négresse» contre «je suis chez moi»

Octobre 2016 : Henriette Henry rentre d'arrêt maladie. Son ex-inspectrice a changé de service. Mais l'humiliation reprend par mail. «J'avoue que tes neuf mois d'absence m'ont fait du bien», «T'es pas foutue de réussir le grade d'inspecteur», lit-on dans le message envoyé à tout le service. Le lendemain, Henriette Henry passe devant son bureau. «Je l'ai entendue rire et dire quelque chose qui finissait par "négresse", suffisamment fort pour être entendu par moi mais pas de mes collègues», raconte-t-elle. Poussée à bout, la contrôleuse du travail, qui «n'avait rien dit pendant cinq ans», «ose répondre» : «J'ai crié que j'étais chez moi en Guyane.»

Cette fois, des agents sont témoins. Le 12 décembre, Henriette Henry, qui vient d'être nommée inspectrice, apprend qu'elle est convoquée à une commission de discipline. Sa direction lui reproche d'avoir violé l'obligation de réserve, de neutralité et de «dignité» des agents. Surtout, elle l'accuse d'avoir tenu des «propos de nature raciste». Pour l'administration, crier «je suis chez moi en Guyane» revient à «[affirmer une] différence de droit entre agents publics fondée sur l'origine géographique».

La crise guyanaise en toile de fond

La commission devait se tenir fin mars. Elle a été décalée : la crise guyanaise est alors à son apogée. L'Union des travailleurs guyanais (UTG), qui orchestre la mobilisation, soutient l'agente. Le sénateur de Guyane, Antoine Karam, se fend d'une lettre à la ministre du Travail, Myriam El Khomri. «Madame Henry subit depuis de longues années remarques et propos dégradants, voire discriminatoires […], écrit-il le 28 mars. Il est totalement inacceptable qu'un agent de la fonction publique soit victime de discrimination raciale sur son lieu de travail

La Dieccte de Guyane – les services déconcentrés du ministère du Travail – cultive une réputation sulfureuse. En 2014, l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) consacre une enquête à ses «difficultés». Le rapport, consulté par Libération, évoque déjà, sans la nommer, «la situation délétère» de Henriette Henry. Il relève que «les propos grossiers utilisés par [son] inspectrice n'ont fait l'objet d'aucune remontrance», malgré des courriers au ministère. L'Igas observe aussi que «les postes à responsabilité sont occupés par des Français de métropole». «L'Etat a rappelé dans une circulaire que les services publics d'outre-mer devaient être à l'image du territoire, mais le ministère du Travail n'en a pas fait grand-chose, dénonce Thomas Dessalles, de la CGT de la Rue de Grenelle. Il y a des discriminations dans les carrières des ultramarins

Un «esclandre» plus grave qu’un «mail discourtois»

Henriette Henry risquait en théorie une rétrogradation au grade de contrôleuse ou une expulsion de la fonction publique de trois mois à deux ans. Jeudi soir, la commission consultative, composée de représentants de l'administration et de syndicats, a proposé un blâme. Mais son ex-supérieure, elle, échappe au conseil de discipline. Elle nie avoir traité Henriette Henry de «négresse» et ne risque qu'une sanction légère pour «son mail très discourtois», «moins grave que l'esclandre provoqué par Madame Henry», soutient Annaïck Laurent, secrétaire générale adjointe des ministères sociaux. Un avis que ne partage pas la CGT. «C'est la victime qui se retrouve mise en cause», déplore Thomas Dessalles. C'est désormais à Myriam El Khomri de trancher. A moins que la ministre ne lègue à son successeur cet épineux dossier…