Libération ausculte les réalités de la vie commerçante à travers des portraits dans toute la France. Aujourd'hui, un propriétaire de vidéo-club en Loire-Atlantique. Les autres épisodes sont à découvrir ici.
A quand remonte notre dernière virée dans un vidéoclub ? Aucune idée, mais on se souvient en être sorti les bras chargés de DVD. Et on ne les a jamais rendus : le stock était à vendre, liquidation du magasin oblige. Depuis le début des années 2000, face à la concurrence – légale comme illégale – d'Internet, leur nombre a continuellement chuté, passant de près de 4 000 à une centaine aujourd'hui en France. Parmi les survivants, Dan Video Club résiste depuis vingt-cinq ans au Loroux-Bottereau (Loire-Atlantique), commune de 8 000 habitants à vingt kilomètres de Nantes.
Entouré notamment d'une pizzeria, d'un magasin de vêtements et d'un institut de beauté, l'établissement surprend d'abord par le drapeau américain qui flotte face à sa devanture. Le propriétaire, Daniel Lecoindre, est un passionné des Etats-Unis, ce que trahit légèrement la décoration du lieu : horloge à l'effigie des Miami Dolphins (équipe de football américain), bannière des Florida Panthers (équipe de hockey sur glace), collection d'écussons de police, mannequin vêtu de l'uniforme des flics new-yorkais, et, la fierté du patron, un encadrement du certificat ayant fait de lui en 2006 un citoyen d'honneur du Tennessee.
Le rêve américain
Dans la seconde moitié des années 80, «Dan» – comme tout le monde appelle ici ce quinquagénaire affable – débarque en Floride après des études de vente. Ronald Reagan est président, la guerre froide ne tiédit pas encore et le Miami de l'époque n'a rien à envier à celui du Scarface de Brian de Palma sorti en 1983. «On risquait tous les jours de se faire trucider», se souvient aujourd'hui celui qui avait prévu dès juillet dernier l'élection de Trump, prenant des paris avec des commerçants voisins. Natif du Loroux-Bottereau, Dan est resté près de sept ans outre-Atlantique, où il retourne régulièrement comme simple touriste. Il y a nourri sa passion du cinéma et vécu l'avènement des chaînes de vidéoclub, comme Blockbuster, désormais en état avancé de décrépitude. En 1992, à son retour en France, il ouvre son magasin dans sa ville natale.
Un quart de siècle plus tard, près de 9 000 références (en DVD et blu-ray) sont disponibles dans son magasin ouvert sept jours sur sept et bercé par une bande-son country. Les tarifs sont assez compétitifs : comptez 3,40 euros la location à l'unité d'un DVD, mais le plus intéressant reste la carte (40 euros les 13 films). En VOD et sans haute définition, une nouveauté se loue généralement 4,99 euros. Faute d'autorisation, Dan ne loue pas de séries TV, pourtant disponibles en coffrets dans le commerce. Un seul grossiste fournit désormais les rares vidéoclubs de France : chaque semaine, environ cinq ou six nouveautés débarquent ici en rayon.
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Sa sélection hebdomadaire prend en compte des incontournables (le dernier Star Wars) mais également des coups de cœur moins exposés en salles. «Quand je regarde un film, ce n'est pas pour passer une bonne soirée, je réfléchis et pense à ma clientèle en même temps», explique celui qui a récemment eu un faible pour le dernier Mel Gibson passé relativement inaperçu en salles, le sanguinolent Tu ne tueras point. Cet aspect prescripteur explique selon lui la longévité de son affaire, marquée comme tant d'autres par le bouleversement des formats (de la VHS au DVD puis blu-ray, sans oublier la brève incartade LaserDisc) puis la chute de la fréquentation.
Depuis quelques années, faute d'entreprise pour en assurer la maintenance, il s'est séparé d'un distributeur extérieur de DVD. Au grand dam des sex-shop, ce genre d'appareils marchait particulièrement bien pour les films X, discrétion oblige. Pendant cinq ans, il a eu un employé dont il s'est séparé quand la crise a frappé son secteur, «dans l'indifférence totale des pouvoirs publics».
«Besoin de changement»
A ses yeux, la France fait pâle figure face à l'Allemagne ou l'Angleterre dans la lutte contre le téléchargement illégal :«Hadopi, ils font du boulot, mais ce n'est pas suffisamment réprimandé; les mails envoyés, les gens s'en moquent.» S'il concède qu'il est désormais trop tard pour changer les mentalités et que les magasins ont eu leur part de responsabilité dans leur destin, un lifting de la fameuse «chronologie des médias» pourrait d'après lui améliorer les choses. Et de citer l'exemple des distributions simultanées salles et vidéo de plus en plus prisées outre-Atlantique (le day and date), qui permettrait de ne plus patienter près de quatre mois après sa sortie ciné pour proposer un film.
«D'un côté Internet me pénalise, mais d'un autre il me rapporte aussi de l'argent grâce au commerce en ligne», nuance Daniel. Depuis des années, sa boutique est ainsi un point relais, prisé par son amplitude horaire et son ouverture quotidienne : les clients peuvent y recevoir leurs colis Fnac, Amazon, Cdiscount, Vente-privee, La Redoute… Une petite commission lui est reversée à chaque colis, et certains clients faisant le déplacement en profitent pour repartir avec un film sous le coude. Entre l'activité locative et la gestion des colis, l'affaire de cet indépendant «marche bien». La charge de travail l'explique sans doute : à en juger par la carte de visite de la boutique, elle aussi à l'effigie du drapeau américain, le Dan Vidéo Club est ouvert pas moins de soixante-huit heures trente par semaine.
Rencontré à trois jours du premier tour de l'élection présidentielle, Daniel attend du futur président qu'il «relance la consommation». Foin d'austérité, «il faut que les gens soient rémunérés à leur juste valeur, que le pouvoir d'achat augmente pour que l'argent circule». Ce petit patron sans enfant, qui se présente comme «de centre gauche», exclut tout vote «extrême»; on devine à son «besoin de changement» que le finaliste du premier tour a eu sa préférence. Au Loroux-Bottereau, Macron est d'ailleurs arrivé en tête dimanche (28,9%), devant Mélenchon (19,57%), Fillon (18,88%) puis Le Pen (16,69%).