Entre 140 000, selon la police, et 280 000 personnes, selon la CGT, ont défilé lundi partout en France à l’occasion des manifestations et rassemblements du 1er Mai. Entre les deux tours de l’élection présidentielle, la journée était aussi l’occasion pour les syndicats de faire entendre leur voix sur le duel opposant Emmanuel Macron à Marine Le Pen le 7 mai prochain. Mais contrairement à 2002, la mobilisation était de bien plus faible ampleur. A l’époque, entre 1,3 et 2 millions de personnes avaient battu le pavé. Presque dix fois plus que cette année.
A l’unanimisme de 2002 (Non à Jean-Marie Le Pen) a également succédé un front syndical dispersé. Ainsi à Paris, entre les places de la République et de la Nation, le défilé emmené par une intersyndicale CGT-FO-FSU-Solidaires appelait certes à faire barrage au parti frontiste, mais sans pour autant se rallier à Emmanuel Macron. En tête de cortège, les militants autonomes et antifascistes assumaient clairement, pour leur part, leur refus de choisir entre «Le Pen la raciste» et «Macron le banquier». Et comme pendant la mobilisation contre la loi travail, plusieurs centaines d’entre eux se sont violemment confrontés aux forces de l’ordre.
«Les électeurs de Fillon sont sans scrupules»
Dans les rangs des manifestants, parmi lesquels de nombreux électeurs de Jean-Luc Mélenchon, les positions divergent souvent. Evelyne, économiste à la retraite et militante d’Attac, avoue ne pas encore avoir choisi son vote du 7 mai. «Je pense sérieusement au vote blanc, mais je veux pouvoir continuer à manifester, explique-t-elle. Si les sondages sont serrés, je voterai Macron. Mais je serai tout de suite dans l’opposition.» Pour elle, le FN n’est pas un parti «banal» : «On ne peut pas se permettre de voir arriver au pouvoir l’extrême droite. C’est pour ça que je suis très embêtée.»
Même dilemme pour Maryline, 62 ans, salariée au tribunal de commerce de Paris. La sexagénaire affirme qu’elle mettra un bulletin blanc dans l’urne dimanche, «même si ce n’est pas forcément la solution». «Mais par respect pour mes collègues qui ont fait grève et perdu leur emploi à cause de la loi Macron, je ne voterai pas pour lui.» Lassan, militant CGT et employé dans le secteur de la propreté, attend le débat de mercredi pour se décider. «J’aimerais que les candidats proposent du social. Il y a cinq ans, j’ai voté Hollande, mais je n’ai rien vu arriver derrière.»
Ingrid, institutrice, se dit prête à voter pour le candidat d’En marche, «la mort dans l’âme» et «mortifiée de devoir choisir par peur». «L’écart entre lui et Le Pen est trop mince, et les électeurs de Fillon sont sans scrupules, ils risquent de ne pas faire barrage au FN», affirme-t-elle. Pour Ingrid, les deux candidats ne se valent pas : «Macron est ultralibéral, mais avec Le Pen au pouvoir, on n’est pas sûr de pouvoir revoter par la suite. Si Macron passe, on a intérêt de lui rappeler dans la rue, le soir même, qui l’a élu.»
Un cortège de tête anti-police
Quelques centaines de mètres en avant, au-delà des services d’ordre des syndicats, le second tour de la présidentielle est moins présent dans les esprits. Les slogans, dans le cortège de tête, se concentrent surtout contre les forces de l’ordre. «Flics, porcs, assassins», «Tout le monde déteste la police», «Anti, anticapitaliste», «Siamo tutti antifascisti», scande la foule, garnie de plusieurs milliers de personnes.
Les similitudes avec les manifestations contre la loi travail sont nombreuses. Les militants autonomes, masqués et vêtus de noir, se mêlent aux autres manifestants et harcèlent les policiers. Pétards, cocktails molotov, projectiles divers… Pendant trois heures, les affrontements ne cessent quasiment pas. Vitrines, abribus et panneaux publicitaires sont aussi dégradés. En face, les CRS et les fonctionnaires de la préfecture de police répliquent sans compter leurs munitions, et noient parfois le cortège sous les lacrymogènes. A 18 heures, sur la place de la Nation, les premiers appels à la dispersion retentissent. Selon un premier bilan communiqué par les autorités, six policiers ont été blessés lors de ce 1er Mai. De nombreux manifestants l’ont également été, et au moins cinq personnes interpellées.