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Libération
Décryptage

Deux projets de société pour une France divisée

Les programmes des deux candidats à la présidentielle sont souvent aux antipodes sur les questions sociétales. Revue de détail.
Lors du débat entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen le 3 mai. (Photo Boris Allin. Hans Lucas pour Libération)
publié le 3 mai 2017 à 21h56

Education, laïcité, justice, environnement… Les deux candidats restants dans la course à l’Elysée ont des propositions reflétant deux visions divergentes pour l’avenir du pays.

Education

MACRON Sa mesure phare, peut-être la seule que les électeurs ont retenue de son programme : diviser par deux le nombre d'élèves dans les classes de CP et CE1 en éducation prioritaire. Le candidat souhaite une mise en œuvre rapide de la mesure, en partie du moins, dès septembre. Il s'engage aussi à ce que les jeunes professeurs, qui ont moins de trois ans d'expérience, ne soient plus affectés dans les établissements les plus difficiles, sauf s'ils en font la demande expresse. Pour le reste, Emmanuel Macron a bâti l'essentiel de son programme autour de cette double idée : plus d'«autonomie», de «liberté» et, en contrepartie, une évaluation renforcée. En pratique, ça donne : les communes, en concertation avec les écoles, auraient la possibilité dès septembre de ne plus appliquer la réforme des rythmes scolaires (et donc revenir à la semaine à quatre jours ou ne plus proposer d'activités périscolaires.)

La réforme du collège prendrait du plomb dans l'aile. Les 20 % de l'emploi du temps des élèves consacrés aux enseignements pluridisciplinaires pourraient être utilisés demain pour remettre en place les parcours bilangues (deux classes dès la sixième) ou l'enseignement des langues anciennes. En contrepartie de cette «liberté», un «audit complet» de chaque établissement serait réalisé tous les trois ans, ainsi que des «bilans personnalisés» de tous les élèves en début d'année, pour que les enseignants puissent «mesurer les progrès de chacun». Pour lutter contre l'échec à la fac, Emmanuel Macron propose d'instaurer des «prérequis» à l'entrée de l'université, avec des stages de remises à niveau si besoin, pour «ensuite rejoindre la filière de leur choix». Il ne s'agit pas d'une sélection, se défend Macron.

LE PEN Dans le domaine de l'école, la philosophie de la candidate FN est aux antipodes de son rival. Il n'est pas question pour elle de laisser plus de liberté aux équipes pédagogiques, bien au contraire. L'égalité des chances passe d'abord par le moins d'autonomie possible aux équipes, explique Alain Avello, son conseiller chargé de l'éducation. Il cite l'exemple de l'apprentissage de la lecture : «La méthode syllabique doit être la norme dans toutes les classes de CP», même si ce point ne figure pas expressément dans le programme de la candidate. Le Pen veut «rétablir l'autorité du maître»… en misant sur «le respect naturel qu'il inspire». Le port de l'uniforme qu'elle veut imposer va dans ce sens. Marine Le Pen souhaite aussi «autoriser l'apprentissage dès 14 ans», à la fin de la quatrième donc. Ce qui revient à supprimer le collège unique, permettant à tous les élèves d'avoir le même enseignement jusqu'à la fin de la scolarité obligatoire (16 ans). A l'école primaire, les élèves consacreraient la moitié de leur temps à l'apprentissage des règles de français, au détriment d'autres disciplines (notamment une langue étrangère). La réforme des rythmes scolaires serait aussi «suspendue» dans un premier temps.

Dans son programme officiel, Marine Le Pen n’a pas repris son idée de mettre fin à la gratuité de l’école pour les enfants de familles sans papiers qui avait suscité de vives réactions. Une mesure en tout état de cause contraire à la Constitution.

Laïcité

MACRON Son programme est assez détaillé en la matière, même si peu de changements sont annoncés. Macron veut proposer des «formations à la laïcité» à tous les agents de l'administration, pour que «les services publics soient vraiment neutres», parce qu'aujourd'hui trop souvent «la confusion règne sur le sens de la laïcité et ses limites». Pour le reste, il est pour le maintien de l'interdiction des signes religieux ostensibles dans les établissements scolaires, mais pas à l'université, vu que «les étudiants sont majeurs et responsables». Dans les entreprises, là encore, statu quo : le candidat préfère laisser «les entreprises régler les questions religieuses au travail». La seconde partie de son programme vise à «aider les musulmans à restructurer l'islam de France», avec une nouvelle instance «permettant la construction des lieux de culte dignes». Il veut aussi «former des imams sur le sol français et de façon adaptée aux valeurs de la République», notamment en créant un diplôme universitaire.

LE PEN Dans son engagement 95, la candidate FN fixe un objectif large, sans donner de précision sur la mise en œuvre. Elle souhaite «rétablir la laïcité partout, l'étendre à l'ensemble de l'espace public et l'inscrire dans le code du travail». Elle dit aussi vouloir «imposer le respect strict de la laïcité et de la neutralité dans tous les clubs sportifs».

Justice

MACRON Le candidat d'En marche use lui aussi du slogan de la «tolérance zéro». Pour appuyer cette fermeté, il déclare que «toute peine prononcée devra être une peine exécutée», remettant en cause le principe de l'automaticité de l'aménagement des courtes peines. Emmanuel Macron souhaite a priori que tout condamné passe par la case prison avant de voir sa peine aménagée. Pourtant, il fait preuve d'une certaine ambivalence en écrivant ensuite que «la prison ne doit pas être l'unique peine car elle n'est pas toujours la plus efficace» et propose de créer «une agence des mesures alternatives à l'incarcération». Il prévoit 15 000 nouvelles places de prison s'il est élu.

LE PEN A l'heure où les prisons n'ont jamais été aussi surpeuplées, la candidate du Front national martèle le mot «laxisme» dans son programme. Son objectif de «tolérance zéro» passe notamment par le rétablissement des peines planchers (supprimées par la loi Taubira) et la disparition des remises de peine automatiques. Elle propose également d'instaurer une peine de prison de perpétuité réelle incompressible ( elle a abandonné l'idée de rétablir lapeine de mort). Pour lutter contre la délinquance des mineurs, elle prévoit la suppression des aides sociales aux parents d'enfants récidivistes. Enfin, 40 000 places de prison devraient être créées durant le quinquennat.

Famille

MACRON Le leader d'En marche insiste sur la «diversité» de la famille, balayant le cliché «d'un modèle unique» ou «d'une vraie famille». Il s'affiche en défenseur du mariage pour tous. S'il se prononce contre la légalisation de la gestation pour autrui (GPA), il souhaite que les enfants qui en sont nés et vivent en France puissent bénéficier d'un statut juridique. Pour lui, la procréation médicalement assistée (PMA) «doit être ouverte». Favorable à une hausse du quotient familial, il n'entend pas toucher aux prestations familiales.

LE PEN Sa mesure phare reste l'abrogation du mariage pour tous sans effet rétroactif. Elle promeut une vision de la famille centrée sur le couple hétérosexuel et veut ainsi remplacerla loi Taubira par une «union civile» pour les couples homosexuels, c'est-à-dire un «pacs amélioré». La candidate maintiendra l'interdiction de la GPA mais réduira la PMA à «une réponse médicale aux problèmes de stérilité». Autres mesures : rétablir «la libre répartition du congé parental entre les deux parents» et l'universalité des allocations familiales (mais restreintes aux seuls Français).

Environnement

MACRON Aucun des deux candidats n'est particulièrement en pointe en matière d'écologie. Emmanuel Macron promet, d'ici cinq ans, la rénovation d'un million de logements mal isolés, une prime de 1 000 euros pour acheter un véhicule moins polluant, un alignement de la fiscalité du diesel sur celle de l'essence et 50 % de produits bio, «écologiques» ou issus de circuits courts dans les cantines. Sur le volet énergétique, le candidat d'En marche veut doubler d'ici à 2022 la capacité en éolien et en solaire, et ramener à 50 % de nucléaire dans la production d'électricité d'ici à 2025, conformément à la loi de transition énergétique. Opposé à l'exploration des gaz de schiste et aux OGM, Emmanuel Macron ne ferme toutefois pas la porte à la recherche sur ces sujets. Côté santé, on retrouve des objectifs imprécis comme la lutte contre les perturbateurs endocriniens et les pesticides ou la division par deux du nombre de jours de pollution atmosphérique.

LE PEN Du côté de la candidate frontiste, le programme écolo est aussi en demi-teinte. Alors qu'elle veut maintenir l'interdiction des gaz de schiste et développer les énergies renouvelables, Marine Le Pen réclame un moratoire «immédiat» sur l'éolien et le maintien de la filière nucléaire en la modernisant. Parmi ses 144 engagements, on retrouve l'interdiction des OGM ainsi qu'un programme prioritaire (non chiffré) d'isolation de l'habitat. Pour ce qui est de l'alimentation, la candidate FN veut développer les circuits courts et interdire l'importation de produits qui ne respectent pas les normes de production françaises. Enfin, elle réclame un étiquetage des produits plus détaillé et veut interdire l'abattage rituel. Elle refuse, enfin, le modèle des fermes-usine.

Sécurité

MACRON Davantage et mieux. Le candidat d'En marche veut repenser les missions de la police et en augmenter les effectifs. S'ancrant à gauche de l'échiquier politique sur ce sujet (lire Libération du 20 avril), le candidat d'En marche souhaite réinventer une «police de la sécurité quotidienne», plus présente dans l'espace public et débarrassée d'une partie de la «paperasserie» et des tâches indues, une revendication portée par le mouvement de protestation policier de cet automne. Les rangs des forces de l'ordre seraient aussi renforcés de 7 500 policiers et 2 500 gendarmes, un recrutement légèrement supérieur à celui de ce quinquennat. La lutte contre le terrorisme, qui occupe évidemment une place importante, reprend des mesures assez classiques, sinon incantatoires : rétablir un renseignement de proximité et pénitentiaire, créer de nouvelles structures de coordination. Macron souhaite disposer, à l'Elysée, d'une «cellule spéciale du renseignement anti-Daech», comme il en existe déjà une à la DGSI avec des représentants de chaque service.

LE PEN Le programme de Marine Le Pen est très classique pour un(e) candidat(e) d'extrême droite : plus de policiers et de gendarmes, plus armés, bénéficiant de la présomption de légitime défense. 6 000 nouveaux douaniers veilleraient à l'étanchéité des frontières nationales après la sortie de Schengen. La candidate du Front national veut concentrer ses efforts sur les banlieues, «zones de non-droit», et particulièrement les «5 000 chefs de bandes» qu'aurait identifiées le ministère de l'Intérieur. Plusieurs mesures complètent son arsenal sur le terrorisme : expulsion des étrangers fichés S sans même qu'ils aient été condamnés, déchéance de nationalité pour les binationaux, détention préventive pour tout membre d'une organisation «hostile à la France».Le Pen reprend l'une des propositions de la commission d'enquête sur les attentats qui proposait la création d'une structure de coordination antiterroriste à Matignon.