Libération ausculte les réalités de la vie commerçante à travers des portraits dans toute la France. Aujourd'hui, la success story de deux vendeurs de saucisses, dans l'Essonne. Les autres épisodes sont à découvrir ici.
Ils s'appellent Ruben Djagoue et Adama Camara, ils ont 26 et 30 ans et pourraient facilement passer pour des Américains. Et pourtant, leur concept de streetfood est né à Evry. Le binôme vend des hot-dogs dans une ambiance chaleureuse aussi bien pour le grand public que pour les professionnels. La recette de leur succès ? «80% d'animation, de joie et de bonne humeur. Le produit ne représente que 20%.» Les vendeurs de «sourires en sandwichs» sont complémentaires, Adama, «l'artiste», a le verbe généreux et le sourire affable, Ruben «le stratège» pèse ses mots à la manière de la quantité d'oignons frits qu'il glisse dans ses petits pains qui ont conquis l'Essonne et espèrent pourquoi pas révolutionner le marché du hot-dog en France.
Le casse-dalle est vendu à partir de 3 euros à l'unité. En plus des saucisses (viande ou végétarienne) et des sauces classiques (moutarde, ketchup), Beny's hot dog propose des saveurs revisitées comme le dja, une sauce tomate béninoise, ou le mafé à base de pâte d'arachide. «Même à Manhattan, ils n'ont pas pensé à faire ça», se félicite Adama Camara.
Du festival à la saucisse
Originaire du Bénin, Ruben Djagoue atterrit à 3 ans dans la cité des Pyramides. Adama le rejoint après avoir passé vingt ans à Dakar. Ils se rencontrent en 2012 sur un tournage : Ruben le réalisateur et Adama l'acteur. Sur mes épaules est primé au festival Génération court, parrainé par Luc Besson. Pendant qu'Adama se goinfre de lecture et d'écriture, Ruben regarde le monde en s'émerveillant sans cesse. En 2013, pour valider son DUT, il fait son stage dans le textile au Danemark. «A Copenhague, la culture hot-dog est très forte. A chaque coin de rue, il y a des baraques, des camions, etc.» De retour aux Pyramides, il confie sa vision à Adama qui rêve de tapis rouge : «Spontanément je lui ai dit : "va te faire soigner". Je cherchais le numéro du docteur House pour qu'il s'occupe de lui.» Etudiant en licence pro management des organisations entreprenariat à la fac de Créteil, celui que l'on surnomme «Beny» peaufine son projet.
Bac+3 en poche, Ruben enchaîne les petits boulots et investit dans une charrette pour transporter le nécessaire à hot-dog et convainc Adama : «Avec un animateur comme toi derrière le fourneau couplé à ma stratégie, seul le ciel sera notre limite», lui glisse Ruben. Ne disposant pas d'autorisation et n'ayant pas les moyens de louer un local, ils se lancent «à l'arrache» et participent à tous les événements associatifs, municipaux et sportifs d'Evry. La recette fait mouche. Toutes les structures de la ville leur ouvrent les bras : la Fabrik (un espace d'accompagnement des jeunes voulant entreprendre), la chambre de commerce et d'industrie, puis la chambre des métiers et de l'artisanat qui leur présente KissKissBankBank. L'opération de financement participatif est un succès. Avec les 5 500 euros récoltés, ils lancent leur premier triporteur ou tricycle à hot-dog.
Portés par l’Essonne
«Avant personne ne mangeait de hot-dog à Evry», note le duo. Beny a rapporté une «saveur» qui change du kebab, du poulet frit, du triple steak et autres snacks. «Maintenant McDo vient nous concurrencer en lançant les hot-dogs», s'amusent les deux compères. Leur avantage concurrentiel : proximité et produits frais. L'équipe propose des pains artisanaux (graine de sésame, graine de pavot et nature) fabriqués par la boulangerie Dydy's Pastrie's, à Corbeille Essonne. Leur communication visuelle (vidéos et autres supports) est prise en charge par Putch, un graphiste d'Evry qui monte. Le studio d'enregistrement Bunker soigne la signature musicale de toutes leurs vidéos. Porté par l'Essonne, Beny's hot dog s'invite même dans les locaux de la radio Skyrock lors de l'émission Planète Rap de Fred Musa réservée à Niska, le nouveau chantre du rap Evryen passé, lui aussi, par le Studio Bunker. «On essaie d'aspirer toute la créativité autour de nous pour en faire un écosystème performant», résume Ruben Djagoue.
Rapidement leur réussite brûle les frontières de l'Essonne et les partenariats se multiplient (Cinéma CGR, Hoops Factory, Remix Jobs etc.) les vendeurs de saucisse nouent des collaborations ponctuelles avec les Paris Aéroport (Orly, Roissy), La Fourchette, des start-up ou des écoles de commerce. Aujourd'hui Beny's hot dog se trouve à la croisée des chemins. Le petit commerce sans ambition, au départ, a pris de l'ampleur. Il passera, d'ici à la fin du mois de mai, du statut d'auto-entrepreneur à celui de SAS (société par actions simplifiée). «On va se structurer pour créer des emplois et acheter d'autres triporteurs.» Les associés disposent d'un emplacement sur le parvis de la mairie d'Evry et réfléchissent à s'étendre sur Paris où la culture de la streetfood est plus importante que dans l'Essonne.
Eux présidents
Ruben Djagoue et Adama Camara sont les premiers surpris de leur ascension éclaire. Ils nous confient avoir du mal à répondre à toutes les sollicitations. Dans la France d'Emmanuel Macron, leur histoire pourrait symboliser le nouveau rêve français ? «On fait notre chemin en ne se fixant aucune limite et sans être partisans d'un mouvement ou d'un parti politique», prévient Ruben. «Nous sommes à fond dans la saucisse», tranche Adama.
Eux présidents ? Ils nous jettent leurs idées en touffe, sans les mettre en bouquet. «C'est très difficile pour les jeunes entrepreneurs d'obtenir un financement, c'est la première barrière. Et ce malgré la présence de nombreuses structures d'accompagnement», explique Ruben. «Je mettrai en place un fonds d'investissement dédié aux entrepreneurs qui ont moins de 30 ans partout en France», poursuit-il. En matière d'éducation, le duo aimerait créer une école où l'échec doit être positivé et plus sanctionné comme c'est le cas aujourd'hui. Faisant du plantage la première condition du succès «si on nous apprend à lui donner du sens». Autre mesure phare d'Adama Camara : «Le droit à tous de rire au moins quinze minutes par jour.» Dans ce climat d'allégresse, les propositions fusent. Ruben coupe net : «On a déjà balancé trop d'idées !» Fin de la récréation.