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«Baladés» par PSA et Renault, les ouvriers de GM&S se disent prêts «à tout péter»

Les salariés du sous-traitant historique des deux constructeurs, malgré de «réels efforts» soulignés par le négociateur chargé de médiation, sont menacés de liquidation faute de commandes suffisantes.
publié le 11 mai 2017 à 20h26

C'est le paroxysme d'une tragédie industrielle qui n'a fait que s'enliser. Les 279 salariés de GM&S Industry, sous-traitant de la filière automobile française et deuxième employeur de la Creuse, placé en redressement judiciaire en décembre, ont détruit jeudi, par désespoir, deux de leurs outils : une presse et une machine-outil. A l'unanimité, ils ont aussi décidé de piéger leur usine de La Souterraine (Creuse). Au pied des machines sur lesquelles ils ont fabriqué depuis les années 60 les pièces de quelques-unes des meilleures ventes de Peugeot et Renault, ils ont installé des bonbonnes de gaz et des bidons d'essence. «On va tout péter», ont-ils inscrit sur un réservoir. Affirmant avoir «été tenue à l'écart des négociations», l'intersyndicale dit regretter de devoir en «arriver à une telle extrémité pour être entendue».

«Ça suffit !» Bien qu'ils s'en défendent, les deux constructeurs français, qui représentent à eux seuls 64 % du chiffre d'affaires de l'entreprise, ont tout pouvoir sur l'avenir de ces employés. Car faute d'engagements fermes sur des volumes de commandes, l'entreprise française GMD, repreneur potentiel, ne sera pas en mesure de présenter un plan chiffré au tribunal de commerce de Poitiers le 23 mai. Dans ce cas, ce dernier serait contraint de prononcer la liquidation pure et simple de l'entreprise.

«Ça suffit !  tonne Vincent Labrousse, le délégué CGT devenu la voix de la colère des 279 salariés. On nous taxe d'être radicaux en s'attaquant à l'outil de travail, mais on ne l'est pas plus qu'eux, qui nous ont d'abord privés de notre chiffre d'affaires en dédoublant [les sources d'approvisionnement auprès d'autres sous-traitants de] nos pièces, et jetés dans les griffes d'un repreneur incompétent qu'ils dénoncent aujourd'hui.»

Renaud Le Youdec, le négociateur de crise mis en place par le mandataire judiciaire, avoue ne pas comprendre l'attitude de PSA et Renault : «Les constructeurs français ont une responsabilité quand ils se désengagent de carnets de commandes actés avec des entreprises françaises. Le discours qui consiste à dire que, maintenant qu'ils ont affecté ailleurs les pièces produites historiquement ici ils ne peuvent plus faire machine arrière, est particulièrement inaudible.»

Selon Renaud Le Youdec, la position des constructeurs est d'autant plus irrecevable que ses propositions «sont tout à fait cohérentes et raisonnables au vu de la reprise observée dans la filière emboutissage». Ce spécialiste de la négociation confesse n'avoir jamais vu une telle situation. «Depuis mon arrivée ici, les salariés ont consenti de réels efforts : ils ont continué à produire et renoncé à tout mouvement social ; ils ont accepté le principe d'un plan de licenciements et ont même accepté, sur mes conseils, de répondre favorablement à la demande urgente de Renault à qui ils ont fourni des pièces car celles qu'ils avaient fait produire ailleurs étaient bloquées [au Brésil].»

Outil rare. Une demande que, d'après la direction creusoise, la marque au losange a reformulée cette semaine alors même que les négociations étaient au point mort. «J'ai refusé, je ne suis pas payé pour ça», dit Renaud Le Youdec. Et de reprendre : «A plus de 65 ans, ma carrière est derrière moi, alors autant parler librement : j'ai refusé, et je l'ai expliqué très clairement aux salariés. C'est une question de moralité, je ne vais pas demander un effort de plus à ces salariés pour un partenaire dont le comportement est en train de les conduire tous à Pôle Emploi.»

Le négociateur ne dément pas que Peugeot et Renault refusent d'affecter de nouvelles productions à l'usine et limitent leur engagement à quelques fins de séries. Ne donnant, de fait, aucune visibilité sur l'avenir du site, pourtant équipé d'un atelier de cataphorèse, un outil rare en France. «Ce qui leur est reproché, c'est un mouvement social qui avait conduit au blocage de l'approvisionnement il y a plusieurs années, ainsi que la défaillance des deux derniers repreneurs», explique le négociateur.

En 2009, au moment de la reprise du site par Altia, les constructeurs avaient pourtant eu leur mot à dire. Tout comme en 2014, quand le nom du repreneur italien, Ginapiero Colla, avait été soufflé par PSA. Il avait pourtant déjà planté plusieurs sites qu'il avait repris.

Asphyxie. «Depuis six mois, nous avons laissé le travail de négociation se faire, souligne Vincent Labrousse, le délégué CGT. A une semaine de l'audience à Poitiers, nous ne pouvons que constater que nous avons été baladés par les constructeurs, qui savaient très bien, lorsqu'ils ont dédoublé leurs sources d'approvisionnement, qu'ils nous condamnaient à l'asphyxie.»

Les salariés en appellent désormais à l'arbitrage du nouveau président, qu'ils avaient invité (sans succès) lors de son déplacement à Oradour-sur-Glane le 28 avril. La mine grise mais déterminée, ils promettent de «ne pas crever sans se battre».