Contre la droite, Emmanuel Macron a lancé sa bombe à fragmentation. Le maire LR du Havre Edouard Philippe, ancien porte-parole d'Alain Juppé, a été nommé Premier ministre et chargé de former le gouvernement qui sera annoncé ce mardi en fin de journée. «Ce sera d'abord un rassemblement de compétences», a-t-il indiqué au 20 heures de TF1, soulignant la «dimension gaulliste» de Macron. Plusieurs autres figures du centre droit devraient rejoindre l'équipe ministérielle pour «tenter quelque chose qui n'a jamais été tenté».
C'est peu dire que le coup était prévisible. Depuis le lendemain du premier tour, il paraissait logique que le Président choisisse de confier Matignon à un haut responsable du centre droit. Le but est assumé : fracturer la droite pour déclencher la «recomposition» qui permettra d'installer à l'Assemblée une solide majorité. «A partir de maintenant, c'est au Premier ministre d'aller [la] chercher», note le secrétaire général d'En marche, Richard Ferrand. A lui, donc, de convaincre certains candidats de la droite et du centre de partir sous les couleurs de La République en marche (LREM). Quant à ceux qui accepteront un portefeuille ministériel, ils seront invités à se choisir pour suppléants des marcheurs qui iront grossir à l'Assemblée les rangs de LREM. Les derniers arbitrages doivent être rendus dans les 48 heures : la commission d'investiture doit dévoiler mercredi soir la liste complète de ses candidats.
«Curiosité»
Pour Matignon, le nom d'Edouard Philippe s'est rapidement imposé. Parce qu'il incarne, à droite, le visage du renouveau et de la modération chère au maire de Bordeaux. Mais aussi parce qu'il est un ami de longue date du nouveau secrétaire général de l'Elysée, Alexis Kohler. Sur le perron de Matignon, s'adressant au sortant Bernard Cazeneuve, ex-maire de Cherbourg qui venait de se revendiquer «homme de gauche», Edouard Philippe s'est présenté en «homme de droite», tout en célébrant les Normands «violemment modérés et parfois conquérants».
Voyant venir le coup, le comité de campagne de LR et de l'UDI s'était réuni lundi matin pour préparer la contre-attaque. Le numéro 1 de LR, Bernard Accoyer, a souligné que cette «décision individuelle» ne reposait sur aucun «accord politique». Son homologue à l'UDI, Jean-Christophe Lagarde a qualifié cette nomination de «curiosité» : «C'est la première fois qu'un chef de gouvernement accepte de devenir le chef d'une bataille législative avec des candidats qu'il n'a pas choisis.»
Nombre d'élus LR ont souligné qu'Edouard Philippe allait devoir faire campagne contre son propre parti. Nadine Morano en a conclu qu'il fallait l'exclure. Accoyer a estimé qu'il n'était pas utile de lancer cette procédure. Depuis Bordeaux, Alain Juppé a souhaité «bonne chance» à son ancien protégé, «un homme de grand talent» qui aurait «toutes les qualités» pour assumer la fonction qui lui est confiée. Mais le maire de Bordeaux n'a toutefois pas voulu cautionner l'entreprise de démolition d'une famille politique dont il fut, en 2002, le fondateur : il a répété lundi qu'il soutiendrait aux élections législatives «les candidats investis par LR et l'UDI».
Embarras
L'offensive contre le bloc LR-UDI n'a pas tardé à produire ses effets. «On a raté l'Elysée, mais on est fier d'avoir gagné Matignon», s'emballait lundi soir un jeune juppéiste. Plus d'une vingtaine d'élus de droite ont indiqué vouloir «répondre à la main tendue par Emmanuel Macron». Parmi les signataires, les députés Nathalie Kosciusko-Morizet, Thierry Solère et Franck Riester, ainsi que le maire de Nice, Christian Estrosi, et le président de département de l'Eure, Sébastien Lecornu (très proche de Bruno Le Maire). La nomination d'Edouard Philippe constitue, selon eux, «un acte politique de portée considérable». Au lieu de se lancer dans «des anathèmes et des exclusions», ils invitent leur famille politique à «prendre la mesure de la transformation qui s'opère» et à ne pas laisser passer ce «rendez-vous de l'intérêt général». Tous les signataires qui sont engagés dans la campagne législative sont assurés de ne pas se voir opposer de candidat LREM. Une vingtaine de postulants LR ou UDI seraient ainsi protégés. Plus encore si le ralliement de Philippe suscitait de nouvelles vocations.
Reste que les coups de boutoirs mettent certains candidats dans un grand embarras. Gilles Boyer, ex-directeur de campagne de Juppé et candidat LR dans les Hauts-de-Seine, s'est empressé de faire savoir qu'il faisait un autre «choix politique» que son ami Edouard Philippe. Dans une circonscription très à droite, il tient à se présenter comme un candidat LR opposé au programme de Macron. Il sera bien temps, après les législatives, de nuancer sa position. Les chemins de la recomposition sont multiples.