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A la barre

A son procès, l'ex-syndicaliste d'Areva maintient avoir été «sauvagement agressée»

Poursuivie pour «dénonciation de crime ou délit imaginaire», Maureen Kearney s'est tenue à sa version des faits. Son avocat, lui, a insisté sur un mystérieux deal avec le procureur de Versailles visant à lui soutirer de faux aveux.

Maureen Kearney et son avocat Thibault de Montbrial, au tribunal correctionnel de Versailles, le 15 mai. (Photo Remy Artiges pour Libération)
Publié le 16/05/2017 à 16h42

La silhouette est longiligne, cintrée dans une jupe noire stricte et une veste de tailleur claire. Le teint diaphane, les cheveux blonds élégamment tirés en chignon, une large mèche tombant sur le front, Maureen Kearney s'avance fébrilement à la barre. Cette Franco-Irlandaise de 61 ans, ancienne syndicaliste (CFDT) d'Areva, comparaît devant la 8chambre du tribunal correctionnel de Versailles pour «dénonciation de crime ou délit imaginaire». Le 17 décembre 2012, elle avait été retrouvée à son domicile par sa femme de ménage, attachée à une chaise au milieu du salon, bâillonnée, pieds et mains liés, un «A» scarifié sur le ventre et un manche de couteau enfoncé dans le vagin. A l'époque, l'affaire avait fait grand bruit, Maureen Kearney étant alors impliquée dans des négociations syndicales tendues avec la direction d'Areva, à propos de contrats nucléaires avec la Chine. Mais deux mois plus tard, elle était passée aux aveux dans des conditions troubles, reconnaissant avoir tout inventé, avant de se rétracter et de confirmer qu'elle avait bien été agressée.

«Je pensais que mon cœur allait traverser ma poitrine»

Malgré ce double revirement, la syndicaliste reste aujourd'hui accusée d'avoir tout mis en scène. «J'ai été sauvagement agressée le 17 décembre 2012, attaque-t-elle d'une voix chevrotante. Je suis innocente.» Quatre ans et demi plus tard, elle se souvient surtout du noir qui s'est abattu sur elle quand son agresseur est arrivé par-derrière et lui a enfoncé un bonnet sur la tête. Puis de la lame qui a glissé sur son ventre, dessinant la lettre «A». «Mon cœur s'est mis à battre violemment, raconte-t-elle. Je pensais qu'il allait traverser ma poitrine. J'entendais le sang dans mes oreilles». Appuyée à la barre, Maureen Kearney ne parvient plus à étouffer ses sanglots. Elle serre le poing contre sa bouche pour tenter de les retenir, en vain. Son avocat se lève pour lui tendre un mouchoir. «Je pensais que j'avais les intestins sur les genoux, qu'il ne fallait pas que je bouge», reprend-elle en s'essuyant les yeux. L'émotion grandissante contraste avec les questions sèches et cliniques de la présidente du tribunal, Chantal Charruault, qui égrène les invraisemblances mises au jour au cours de l'instruction.

N'est-il pas surprenant que l'agresseur soit venu les mains vides, trouvant sur place le bonnet, le couteau et le scotch ayant servi à son forfait ? «Je ne me l'explique pas», répond Maureen Kearney, le souffle court. Et les liens lâches dans son dos, qu'elle n'aurait pas cherché à détacher ? «J'ai essayé mais je n'ai pas réussi». Et le «A» scarifié sur son ventre ? Comment pouvait-il être composé de traits aussi nets, sans aucune rupture, alors même qu'elle était assise et que la peau de son ventre devait donc être plissée ? «Je ne me rappelle pas», répète-t-elle en pleurs. Mais c'est le récit de son viol avec un manche de couteau qui va la faire flancher. «Non !» s'écrie Maureen Kearney au moment où la présidente commence à relater la scène. Son avocat apporte alors une chaise, sur laquelle elle s'effondre avant de reprendre son audition en hoquetant, puis de se relever brusquement, consciente d'être précisément dans la position décrite par le tribunal.

Des incohérences «curieuses» ou «ahurissantes»

Prise de spasmes, le cœur au bord des lèvres, Maureen Kearney revient sur ses «quatre ans d'enfer». Elle raconte comment elle a dû convaincre son mari de vendre leur maison où elle ne parvenait plus à dormir. Comment, pendant des mois, elle a refusé d'avoir des chaises dans son salon, avant de se résoudre à en acheter une «transparente». Comment elle n'osait plus aller chez le coiffeur, de peur de ressentir à nouveau une présence étrangère dans son dos. Suivie depuis quatre ans par un thérapeute, elle dit souffrir de syndromes de stress post-traumatique. Toujours en arrêt maladie, elle fait désormais du bénévolat avec des enfants en difficulté, «pour garder le lien social». «J'ai ma conscience pour moi, répète-t-elle une dernière fois. Je peux vous le dire en vous regardant dans les yeux : j'ai été sauvagement agressée.»

Pourtant, pas plus que les juges d'instruction, le procureur de Versailles, Jacques Cholet, ne semble croire à l'innocence de la prévenue. Décrivant une «personne en état de grande dépression», qui a «fait une fixation» sur les contrats chinois, le magistrat liste à nouveau les «incohérences» du dossier, jugées tour à tour «curieuses», «incroyables», «inexplicables» ou «ahurissantes». «Il y a trop d'impossibilités», résume-t-il avant de conclure, formel : «Il n'y a pas eu d'agression, cette dénonciation est bien imaginaire.» Rappelant le «préjudice social important» pour les services de l'Etat – cinq semaines d'enquête de la gendarmerie et la protection du GIGN –, il requiert 7 500 euros d'amende, le montant maximum.

«C’est plus difficile de mentir que de dire la vérité»

Puis vient le tour de l'avocat Thibault de Montbrial, qui a repris le dossier juste après les aveux de Maureen Kearney, en février 2013. Tirant théâtralement une chaise devant le tribunal, il commence par rejouer la scène du viol dont aurait été victime sa cliente, qui se bouche les oreilles pour ne rien entendre de la démonstration. «Désolé Maureen», s'excuse-t-il. Assis à côté de la barre, il se met à refaire chaque geste, mimant une personne s'attachant les pieds à ceux de la chaise, s'enfonçant un objet dans le vagin (en l'occurrence un surligneur), puis se liant les mains derrière le dos. «La scène est impossible à faire tout seul», conclut-il en rappelant que sa cliente souffrait alors d'une grave blessure à l'épaule droite. Puis, point par point, il s'attache à démonter chaque élément à charge de l'accusation. L'absence d'ADN sur la scène de l'agression ? Fréquent dans les affaires criminelles. L'agresseur venu les mains vides ? Une façon de ne pas signer son geste. Les analyses scientifiques réalisées sur place ? Elles sont loin d'avoir été exhaustives. D'ailleurs, s'étonne l'avocat, le couteau n'a même pas été expertisé. Les analyses psychiatriques, qui tendraient à prouver que sa cliente aurait tout inventé ? Elles aussi sont sujettes à caution. Certes, sa cliente était «inquiète», «angoissée», peut-être «déprimée». Mais sûrement pas «malade» comme on a voulu le faire croire. «C'est plus difficile de mentir que de dire la vérité», assure-t-il.

Mais la principale charge de l'avocat, la pierre angulaire de sa défense, c'est le fameux deal qu'aurait passé Maureen Kearney avec le procureur et les enquêteurs : ses aveux contre l'abandon des poursuites. Face au tribunal, Thibault de Montbrial tient à apporter de nouveaux éléments sur ce pacte occulte. Il aurait été conclu par le premier avocat de la syndicaliste, Olivier Fontibus, ancien bâtonnier de Versailles, qui l'aurait lui-même mis dans la confidence. Quelques minutes plus tôt, le procureur avait jugé «inimaginable» qu'un auxiliaire de justice se prête à de tels agissements. Mais l'avocat enfonce le clou. «Ce n'est pas de la magouille», insiste-t-il, c'est un «deal», comme il en existerait parfois en marge des «grands contrats industriels ou de défense». Et l'avocat de citer les frégates de Taïwan, l'affaire Elf et Clearstream. Il évoque ensuite un autre accord non signé avec les Chinois, auquel Maureen Kearney s'intéressait de près. Convaincu que les sociétés françaises n'ont rien à voir avec son agression, Thibault de Montbrial considère en revanche qu'elle pourrait être le fait d'«officines» travaillant pour des intermédiaires, inquiets de ne pas toucher leur commission. Prostrée sur sa chaise, Maureen Kearney semble ne plus rien entendre. Jugement le 6 juillet.