Une médecin, une chercheuse, qui a réussi à la tête de deux grandes structures sanitaires: a priori, Agnès Buzyn a le profil parfait pour occuper le ministère de la Santé. Est-ce, pour autant, une bonne idée de confier ce poste à quelqu’un de la «maison»?
Prenons quelques exemples récents. Marisol Touraine n’est pas médecin. C’est une politique jusqu’au bout des ongles, avouant adorer le jeu parlementaire, aimant passer du temps avec les journalistes politiques, connaissant parfaitement les arcanes de l’Etat. On ne peut pas dire qu’elle ait réussi à emporter l’adhésion des professionnels de santé, et en dépit de réformes parfois utiles et même courageuses, elle laisse derrière elle plus de blessures que d’avancées.
A l'inverse, Bernard Kouchner ministre de la Santé est resté médecin jusqu'à la caricature. Son passé de french doctor lui ayant servi, entre autres, à renvoyer de lui une image positive au monde de la santé. Pour autant, si notre médecin sans frontières a laissé une forte trace de son passage avenue de Ségur, c'était en raison de son tempérament, mais aussi grâce à son entourage, avec un cabinet très efficace et la jouant collectif. Un entourage qui lui a permis de sentir et de prévoir les événements. C'est d'ailleurs ce qui a le plus manqué à Marisol Touraine: cette capacité à créer une dynamique positive au sein de son ministère et de son cabinet. De fait, l'ambiance y a toujours été lourde et tendue.
Autre cas de figure, Jean-François Mattei, professeur de génétique, nommé ministre de la Santé en 2002. Un homme d’une grande rigueur, grand travailleur et connaissant parfaitement ses dossiers. Il s’était préparé de longue date à ce poste, et avait tout pour réussir. Or voilà que ce chercheur, d’abord très apprécié, explose en vol, ne se rendant pas compte de l’impact de la canicule de l’été 2003, traînant même les pieds pour remonter à Paris alors qu’il était en vacances dans le Sud. Une faute politique qui lui sera fatale.
On le voit, l'habit, en l'occurrence la blouse, ne fait décidément pas le moine. Les circonstances jouent un rôle essentiel. Et aujourd'hui, elles sont favorables à Agnès Buzyn. Les médecins comme les établissements de soins ont globalement bien réagi à sa nomination. Certes, Jean-Paul Ortiz, président de la CSMF, premier syndicat de médecins libéraux (généralistes et spécialistes) s'est dit «sceptique». «Nous sortons de cinq ans de conflit et d'absence de dialogue avec la ministre de la Santé Marisol Touraine, a-t-il déclaré à l'AFP, se demandant si Agnès Buzyn n'est pas dans sa lignée». A l'inverse, Claude Leicher, le président de MG France, premier syndicat de médecins généralistes libéraux, a salué la nomination d'une «grande professionnelle», d'un «médecin» qui «connaît très bien de l'intérieur le système de santé».
Agnès Buzyn, elle, se dit prête. Lors de la passation de pouvoirs, mercredi soir avenue de Ségur, la nouvelle ministre a eu cette réflexion en s'adressant à sa prédécesseure: «Notre style sera peut-être différent mais notre engagement tout aussi puissant. Je prendrai d'arrache-pied tous les dossiers urgents, j'essaierai de les traiter avec équité. Ce n'est pas parce que je suis médecin que je ne m'intéresserai qu'au champ de la santé.» Elle avoue cependant avoir longuement hésité avant d'accepter le poste. Elle est de gauche, ne s'en est jamais cachée, mais ne l'a jamais affiché. Venant d'un milieu aisé, elle a toujours été «une bonne élève», reconnaît-elle.
Dans sa carrière hospitalière, elle a subi la misogynie ambiante: à l'hôpital, les médecins sont des femmes, les professeurs des hommes. Elle connaît parfaitement les petites médiocrités du monde mandarinal, mais aussi les lourdeurs de l'administration, les jeux de pouvoir et ses impuissances. C'est pour cela, d'ailleurs, qu'Agnès Buzyn avait refusé, en octobre 2013, le poste de directeur général de la santé, ne voulant pas être coincée entre les directives du ministre et les exigences de santé publique. «Je veux avoir une marge de manœuvre, nous disait-elle. Je veux pouvoir agir.» Mettant en avant la nécessité d'être du côté des malades, et faisant du combat contre les inégalités face à la santé une priorité.
Professeure d’hématologie à l’hôpital Necker, Buzyn est l’image de ce qui se fait de mieux dans la médecine française. Mais cette forte image ne suffira pas à lever les obstacles. Elle aura besoin de ténacité pour casser le poids devenu étouffant des lobbies, pour prendre en charge cette nouvelle médecine qu’exigent les malades devenus chroniques, et devra résister à une administration incertaine, voire ne pas reculer sur des questions de santé publique inédites, comme celles que posent désormais les perturbateurs endocriniens. D’autant que l’on ne sait toujours pas précisément si elle aura une co-responsabilité sur les comptes de l’assurance maladie. Si tel n’est pas le cas, son pouvoir sera singulièrement réduit, Bercy pouvant alors imposer ses diktats.
En somme, médecin ou pas médecin, avec cette nomination, tout reste possible. Aussi bien un nouveau souffle sur le monde de la santé, ou un simple effet d’image, utile certes, mais sans réelles conséquences.