Juste avant que les jurés ne se retirent pour délibérer, Ludivine Chambet, l'aide-soignante accusée d'empoisonnements en série dans une maison de retraite, a lâché quelques mots, de cette voix fluette qui surprend, tranchant avec sa large stature : «Je suis coupable de crimes, je voudrais ajouter aussi que je suis sincère et je comprends que l'on ne puisse pas me pardonner, mais je demande encore une fois pardon aux familles des victimes.»
«Motifs obscurs»
Ces derniers mots prononcés, elle a poussé le micro, puis s’est rassise, visiblement tendue. Cette femme de 34 ans, incarcérée depuis décembre 2013, aura dérouté pendant les dix jours de son procès, où elle encourait la réclusion criminelle à perpétuité pour avoir administré des cocktails de médicaments psychotropes à treize résidents de l’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) du Césalet, près de Chambéry. Dix en sont morts après avoir fait des malaises. Elle reconnaît onze victimes, mais nie fermement avoir empoisonné les deux autres.
Lundi, l'avocat général avait requis trente ans de réclusion criminelle et non la perpétuité. Il avait retenu l'altération du discernement de l'accusée au moment des faits, se rangeant derrière l'avis des experts psychiatres entendus pendant le procès. Des mots très durs. «C'est une tueuse qui agit avec détermination mais pour des motifs obscurs», a estimé l'avocat général Pierre Becquet. «On aimerait bien que Ludivine Chambet nous réponde sur le passage à l'acte. […] Elle seule a la réponse et elle reste désespérément muette», a déploré le magistrat, pour qui «le grand absent du procès, c'est Ludivine Chambet elle-même».
Un hôpital lent à réagir
De fait, le mystère reste entier sur ces passages à l'acte successifs, l'aide-soignante disant et répétant que c'était une autre qu'elle-même qui agissait. Mais les faits sont lourds, comme l'ont raconté les parties civiles. Ainsi, Frédérique Noiton, fille d'Alice Miège, a témoigné des huit comas dans lesquels a été plongée sa mère à cause des mélanges de médicaments qu'avait concoctés l'aide-soignante. «J'ai croisé Ludivine Chambet dans les couloirs de la maison de retraite, après le septième. Elle était agacée et elle m'a dit : "C'est Lourdes dans cette chambre !"» Des propos ahurissants. En creux, aura été aussi pointée la responsabilité de cette Ehpad, accolée à l'hôpital de Chambéry. Comme l'a noté l'AFP, quand il est venu témoigner, le directeur de la maison a eu du mal à expliquer la lenteur à réagir face à ces décès en série. «Est-ce que l'hôpital se sent, d'une manière ou d'une autre, responsable de ce qui s'est passé ?» a lancé l'avocat de Ludivine Chambet, rappelant que les faits se sont étalés sur plus d'un an. Réponse purement administrative : «Les faits qui sont reprochés à Mme Chambet sont des faits qu'elle a commis et qui engagent sa responsabilité.» Puis : «L'établissement a mis en place des dispositifs et continue à être attentif pour maintenir et renforcer les dispositifs de sécurité. L'hôpital ne peut pas être responsable des actes délictuels et criminels commis par ses agents.»
Après près de six heures de délibéré, les jurés l’ont condamnée, ce mardi après-midi, à vingt-cinq ans de prison, soit un peu moins que ce que demandait l’avocat général.