Un demandeur d'emploi «efficace» commence sa journée à 7h45 par «une petite séance d'exercice à jeun» et l'achève à 17h30 en retrouvant ses proches pour «sociabiliser un peu». Non sans avoir avalé un petit-déj, ciblé les entreprises susceptibles de l'embaucher, répondu à des offres – y compris des boulots précaires – et réseauté sur LinkedIn. Autrement dit, sa journée de chômage doit être aussi énergique que les huit heures de boulot d'un cadre dynamique. En résumant ce propos dans une infographie logotée Pôle Emploi, l'opérateur public a suscité un tollé. Le schéma enchaîne en effet les maladresses. Quasi copié-collé d'un article du site Business Insider, il respire la culture de l'efficacité chère aux Anglo-Saxons et pourrait être issu d'un livre de conseil en développement personnel qui promet de faire du lecteur un «winner» en puissance.
Ce qui est bien au Pole emploi de Margny-lès-Compiègne, c'est qu'on ne prend pas trop les chômeurs pour des cons https://t.co/exx87QCVxZ pic.twitter.com/woFK8EGWMq
— sebmusset (@sebmusset) May 23, 2017
Sauf qu'un chômeur n'est pas un jeune loup sorti d'école de commerce. Il ne se réveille pas le cœur léger, ne chante pas sous la douche en rêvant à ses «objectifs» et ses «envies». A mesure que les mois passent, il a plutôt les idées noires, l'estime de soi en miettes et peu de confiance en l'avenir, quand sa famille et sa vie sociale n'ont pas déjà volé en éclats. Pôle Emploi a vite compris le potentiel de «bad buzz» et battu en retraite, en chargeant une «initiative personnelle et isolée» qui n'aurait pas reçu l'aval de la direction. Les auteurs du graphique auront droit à un «débrief» – pour ne pas dire une soufflante. Les agents bénéficient d'une certaine autonomie pour préparer des supports ou des ateliers à destination de leur «portefeuille», les chômeurs dont ils suivent les dossiers. Cette petite liberté redonne parfois un peu de sens au travail des salariés d'une grosse machine qui a créé beaucoup de mal-être depuis la fusion mal gérée de l'ANPE et des Assédic en 2008.
Pourtant, l’infographie ne dit pas grand-chose que Pôle Emploi – sa tête cette fois – n’aurait pu dire ou écrire. Elle n’étonnera pas ceux qui se sont frottés à l’opérateur ou à l’écosystème de l’aide à la recherche d’emploi, publique comme privée, aussi prospère que le chômage. Les conseils pour «booster» sa recherche, selon le terme consacré, constituent même un des fonds de commerce de la maison. Comme d’une armée de médias, coachs, blogs (souvent adossés aux portails emploi) ou maisons d’édition. Le site de Pôle Emploi ne propose pas d’infographie heure par heure pour faire fructifier son chômage, mais sa page «trucs et astuces» (un exemple parmi d’autres) ne dit rien d’autre : «structurez votre journée», «organisez-vous un "coin recherche d’emploi" où vous serez au calme et où vous disposerez : d’une table, d’un téléphone, de votre agenda, de votre répertoire et de vos fiches de suivi», «gardez le contact avec vos relations et vos amis», «ménagez-vous tout de même des périodes de repos et de loisirs», «gardez votre équilibre», et «apprenez à positiver». Positiver…
Plus que le schéma, ce sont ces injonctions qui posent problème, car elles contiennent toujours le reproche implicite que le chômeur est responsable de sa situation. Lui et son heure de réveil, son manque de motivation, plus que l’économie en berne, les fermetures d’usine, les patrons qui ne veulent pas embaucher les trop vieux, les trop jeunes, les mères de famille, les Noirs, les Arabes… Faute de pouvoir offrir à ses «usagers» un travail en phase avec leur savoir-faire, Pôle Emploi et ses prestataires semblent parfois n’avoir d’autre choix que de les occuper, en leur faisant refaire leur CV jusqu’à l’absurde, en les faisant travailler leurs «savoir-être» ou, ici, en leur apprenant à organiser leur journée. Parfois, ça marche. Un jeune diplômé ou un cadre dirigeant sur la touche n’ont peut-être pas besoin de plus, et tant mieux. Mais le gros des chômeurs de longue durée qui cumulent les handicaps, sans diplôme, âgé, fragilisé, isolé dans des zones sinistrées, quels espoirs vont-ils pouvoir nourrir dans leur «coin recherche d’emploi» ?