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Libération
Récit

Affaire Grégory : la chasse au corbeau reprend

Affaire Grégory, une histoire françaisedossier
Trente-deux ans après l’assassinat du garçon de 4 ans, de nouveaux éléments relancent l’enquête. Trois suspects ont été interpellés mercredi par la gendarmerie de Dijon et deux témoins entendus. Tous font partie de la famille Villemin.
Grégory Villemin a été retrouvé mort dans la Vologne en octobre 1984. (Photo AFP)
publié le 14 juin 2017 à 20h26

C'est un dossier hors norme que l'on pensait tombé dans l'oubli. Pourtant, mercredi, selon les révélations de l'Est républicain, trois personnes ont été interpellées sur commission rogatoire et placées en garde à vue dans l'affaire du petit Grégory. Elles sont soupçonnées de «complicité d'assassinat, non-dénonciation de crime, non-assistance à personne en danger et abstention volontaire d'empêcher un crime». Trente-deux ans après la mort de l'enfant de 4 ans, retrouvé pieds et poings liés dans la Vologne, à 6 km du domicile familial de Lépanges-sur-Vologne, l'affaire est toujours irrésolue. Une cellule d'enquête - qui a pu atteindre parfois jusqu'à 12 personnes - à la section de recherches de la gendarmerie de Dijon est à pied d'œuvre depuis 2009. Les gendarmes ont examiné toutes les pièces, passé en revue des cartons entiers de lettres, repris toutes les expertises scientifiques, les auditions, la chronologie. Ce 14 juin, ils sont passés à la vitesse supérieure en procédant à des arrestations. «Ils pensent avoir identifié le corbeau», explique une source proche du dossier à Libération. Un rebondissement inattendu dans ce dossier qui faisait figure d'éternelle énigme.

Les trois suspects appartiennent à la famille Villemin, les parents du petit Grégory. C’est ainsi que l’oncle de Jean-Marie Villemin et sa femme, Marcel et Jacqueline Jacob, ont été arrêtés dans le village d’Aumontzey, situé à 12 km de Lépanges-sur-Vologne. Ginette Villemin, une des belles-sœurs de Jean-Marie Villemin, a quant à elle été interpellée, non loin, à Arches. Enfin, Monique et son mari, Albert, la grand-mère et le grand-père du petit garçon, tous deux octogénaires, sont entendus sous le statut de témoin. Les interrogatoires ont commencé mercredi après-midi. Peut-être ces suspects livreront-ils enfin la clé d’un des plus grands mystères criminels français ? Ou du moins l’identité du plus fameux corbeau qu’ait connu la justice.

Leurre

Dans cette affaire, on ne compte plus les rebondissements violents ou choquants, les impasses, les fausses pistes et, bien sûr, les dysfonctionnements. Pour résumer : l’«affaire Grégory» représente trois décennies d’égarements judiciaires, de déchaînement médiatique et de détresse. A tel point que la vérité ne semble plus qu’un leurre.

Tout commence le 16 octobre 1984. Par un coup de téléphone. Au bout du fil, un informateur anonyme lance à Michel Villemin, l'oncle du petit garçon : «J'ai pris le fils du chef [surnom donné au père, ndlr], je l'ai mis dans la Vologne.» Il ricane mais ne ment pas. Après que le corps de Grégory a été repêché dans l'eau glacée, le corbeau continue de sévir. Le lendemain, les époux Villemin trouvent une étrange missive de revendication dans leur boîte aux lettres : «J'espère que tu mourras de chagrin le chef. Ce n'est pas ton argent qui pourra te redonner ton fils, voilà ma vengeance, pauvre con.» L'expéditeur a commencé son harcèlement bien avant le meurtre du petit garçon, cela fait trois ans qu'il téléphone et écrit à la famille Villemin.

Le soupçon devient un poison

La suite de l'affaire est désormais bien connue : Bernard Laroche, un cousin de Jean-Marie Villemin, est mis en examen pour le crime puis incarcéré. Mais la justice décide de le relâcher, faute de preuves, le 4 février 1985. Dans cette affaire, le soupçon devient un poison. Convaincu de sa culpabilité, Jean-Marie Villemin choisit de se faire justice et l'abat d'un coup de fusil de chasse. C'est ainsi que le père de Grégory sera condamné à quatre ans de prison ferme en 1993. Après l'oncle, c'est la mère qui endosse le costume du suspect. En juillet 1985, le juge Michel Lambert, surnommé depuis le «petit juge», fait d'elle le noir volatile et l'inculpe pour l'assassinat de son fils. Enceinte de six mois, elle entame alors une grève de la faim. Elle sera libérée au bout de onze jours de détention et bénéficiera d'un non-lieu en appel pour «absence totale de charges» le 4 février 1993.

Après sept ans de silence, le dossier est rouvert en 2000 afin d'analyser un timbre présent sur une lettre anonyme. Les résultats sont négatifs. Saisi par les époux Villemin, le procureur de la cour d'appel de Dijon demande la reprise de l'instruction en 2008. Cette fois, la procédure est relancée par des expertises sur un courrier du corbeau en date du 24 juillet 1985. Un profil ADN masculin est isolé sur la lettre et un autre, féminin, sur le timbre de l'enveloppe. Néanmoins, cela n'aboutit à aucune identification. En 2010, la justice s'intéresse à d'autres scellés : un cheveu retrouvé sur le pantalon du petit Grégory, les cordelettes qui ont servi à l'attacher, les enregistrements de la voix du corbeau, des traces digitales sur les enveloppes. Mais, une fois encore, les résultats ne sont pas concluants. En 2014, le procureur Jean-Marie Beney doit se résoudre à l'échec : il n'est «pas possible de mettre un nom» sur les profils ADN. «Il n'y a pas d'identification possible.» La science n'est plus un espoir, elle est devenue un mirage.

Après toutes ces années, un ADN aurait-il tout de même «parlé» ? Le communiqué de presse diffusé mercredi par le parquet de Dijon et la gendarmerie ne livre pas la réponse. Il précise que «d'autres axes d'enquête ont été explorés». «Outre les 400 personnes prélevées, une centaine de témoins ont été interrogés, certains pour la première fois. Près de 200 courriers anonymes, reçus par les protagonistes de l'affaire mais aussi par les magistrats, ont été analysés en détail», est-il écrit. Les enquêteurs ont également avancé grâce à des expertises en écriture et un «travail d'analyse criminelle très approfondi» afin de reconstituer très précisément la chronologie des événements et «positionner dans l'espace et dans le temps l'ensemble des témoins et des éléments apparus dans la procédure». Finalement, le communiqué tempère : «Les interpellations récentes, qui visent des personnes très proches du cœur de l'affaire, ont pour but d'éclaircir certains points et d'apporter des réponses à des questions posées, parfois de longue date, par des zones d'ombre de la procédure.» Enfin un peu de lumière après trente-deux ans d'obscurité ?