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Pédophilie à Orléans : «Je ne pensais pas qu’un prêtre pouvait être comme ça»

Olivier Savignac, âgé aujourd'hui de 37 ans, raconte les agressions sexuelles qu'il a subies pendant un camp de vacances lorsqu'il était adolescent. Le témoignage qu'il livre à «Libération» met en cause un prêtre et le silence de sa hiérarchie.
La Cathédrale Sainte-Croix d'Orleans. (Photo Fred de Noyelle. Godong)
publié le 18 juin 2017 à 17h06
(mis à jour le 18 juin 2017 à 18h33)

Dans le diocèse d'Orléans, une page s'est tournée. Celle de l'ère silencieuse de monseigneur André Fort, ancien évêque d'Orléans. L'homme d'Eglise vient d'être mis en examen pour «non-dénonciation d'atteintes sexuelles sur mineurs de moins de 15 ans», faits perpétrés par l'abbé Pierre de Castelet durant un camp du Mouvement eucharistique des jeunes (MEJ) à l'été 1993. Parmi ses victimes, il y a Olivier Savignac, aujourd'hui âgé de 37 ans. C'est lui qui a tanné le diocèse d'Orléans pour que la justice soit enfin saisie de l'affaire. «Ce sont des faits graves qui ont porté sur une dizaine de garçons», raconte-t-il à Libération. A 13 ans, vous ne savez pas du tout que cela peut vous arriver. D'ailleurs, nous n'avions jamais entendu parler de pédophilie.» C'est la découverte des agressions par les animateurs qui leur fait comprendre la gravité des faits. «Un jour, une animatrice a surpris le prêtre en pleine action, se souvient Olivier. Il était agenouillé face à un camarade de camp qui avait le pantalon baissé.» Les enfants et les animateurs saisissent alors la direction du MEJ qui leur promet d'agir. A la fin du camp, les jeunes gens rentrent dans leurs foyers et les relations se dissipent. La douleur, elle, demeure. «L'abbé, c'est notre guide, notre référent…» explique Olivier avec une émotion intacte.

Pendant vingt longues années, il ne parle de cette affaire à personne. Pas même à ses parents. «J'avais un peu honte, je ne pensais pas qu'un prêtre pouvait être comme ça, confie-t-il. Alors j'ai enterré le truc et je l'ai gardé au fond de moi. Mais à chaque fois qu'un autre prêtre me témoignait de l'affection, ça ressortait.»

C'est en 2005, au hasard d'un événement professionnel, que les souvenirs rejaillissent vraiment au point d'enserrer Olivier d'une angoisse tenace. «J'avais d'énormes doutes sur ce que ce prêtre avait pu faire avant 1993». Il décide alors d'enquêter sur son parcours. Rapidement, il le découvre œuvrant aux scouts d'Europe. «J'ai aussitôt rappelé le responsable des MEJ pour m'assurer qu'il avait bien été pris en charge. Hélas, rien n'avait été fait, son dossier avait seulement été transmis au diocèse d'Orléans qui aurait dû prendre des mesures conservatoires». En été 2010, Olivier prend rendez-vous avec André Fort, l'évêque d'Orléans, pour lui faire part de ses inquiétudes. Le prélat se voit destinataire d'une longue missive contenant «les questions qui rongent» le jeune adulte. «Nous sommes reçus avec l'animatrice de l'époque devenue psychologue, une femme très à l'écoute, se souvient Olivier. Il ne semblait pas surpris par nos témoignages et possédait déjà un gros dossier sur l'abbé de Castelet. Il nous a assuré qu'il ne s'était rien passé depuis toutes ces années, alors que nous savions que d'autres plaintes couraient.» C'est plutôt déçus que les deux protagonistes quittent Orléans.

«Responsabilités»

Quelques mois plus tard, au hasard d'une recherche sur Internet, Olivier découvre que son agresseur est invité à une conférence sur la prévention de la pédophilie en sa qualité d'expert en droit canon. «Je trouve ça abject et j'écris aussitôt à monseigneur Jacques Blaquart, le nouvel évêque, en menaçant à mots à peine couverts de saisir le procureur de la République si rien n'était fait.» Contrairement à ses prédécesseurs inertes, Jacques Blaquart transmet directement le dossier au parquet, l'abbé est mis en examen l'année suivante avant d'être démis de ses fonctions par l'évêque d'Orleans. «Notre évêque, qui vit dans l'écoute et la fraternité, a pris le temps de recevoir plusieurs victimes et ça l'a décidé à agir, en conscience», explique Jean-Pierre Evelin, responsable de la communication du diocèse d'Orléans. Edmond-Claude Fréty, l'avocat d'Olivier, raconte le «tabou» que peut constituer la mise en cause d'un prêtre ou d'un évêque «dans certaines familles» et assure que son client ne s'inscrit pas dans une démarche de «vengeance».

Malgré ses blessures, Olivier Savignac, aujourd'hui musicien, n'a pas quitté son chemin de foi. «Le lien avec Dieu n'a pas été touché, contrairement au lien avec l'Eglise, même s'il ne faut pas généraliser», explique ce jeune père de famille qui se dit «croyant libre» «C'est au contraire ma foi qui m'a aidé à traverser ce traumatisme.»

De l'action judiciaire, à laquelle il a pris part, Olivier attend une reconnaissance ferme. «Il faut que toutes ces personnes, du prêtre aux encadrants, assument leurs responsabilités. La sanction m'importe peu. L'essentiel, c'est qu'il n'y ait plus de malheurs comme le mien». Libération a tenté de joindre, le prêtre et l'ancien évêque d'Orléans pour recueillir leurs réactions. Deux mails leur ont été envoyés qui sont restés sans réponse.