A Toulouse s’est ouvert mercredi le procès aux assises de deux braqueurs présumés d’agences postales, qui auraient sévi sur les bords de la Garonne de 2012 à 2013. L’affaire a fait grand bruit : l’un des accusés jugés pour enlèvement, séquestration et extorsion de fonds avec arme n’est autre que l’ancien directeur d’un bureau dévalisé. Face à lui, Elisabeth et Françoise, deux postières encore hantées par le souvenir d’une agression violente. Et qui, au-delà de la condamnation des voleurs, voudraient faire reconnaître les négligences de leur employeur : selon elles, la Poste n’a pas fait son possible pour assurer leur sécurité, malgré leurs mises en garde.
L'agression d'Elisabeth, 52 ans, alors guichetière au bureau du quartier de Bellefontaine, remonte au 6 mars 2012. L'agente est chargée de ravitailler les distributeurs de billets. Un an auparavant, les locaux ont fait peau neuve : le relooking perturbe son travail. Elisabeth n'a plus accès, comme par le passé, à un passage discret pour alimenter plusieurs machines. Il lui faut traverser le hall les mains pleines de liasses devant les usagers. Gênant et dangereux, soutient Elisabeth. «Le problème a été signalé avant les travaux.» Mais sa hiérarchie, assure-t-elle, n'en a cure. «Comme le responsable ne nous a pas donné de consignes pour éviter ça, j'ai dû prendre sur moi.»
Elisabeth juge alors qu’elle n’a d’autre choix que d’arriver trois quarts d’heure avant l’heure habituelle, seule, pour alimenter les distributeurs avant l’arrivée du public. Le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) s’en émeut le 21 février. Par mesure de sécurité, le règlement impose que les agents ouvrent toujours les bureaux à deux.
Coffre. Elisabeth est agressée quinze jours plus tard. Bien renseignés, les voleurs l'attendent devant chez elle, l'attachent et la jettent dans un fourgon. Direction le bureau de poste. Son visage est arrosé au gaz lacrymogène, ses vêtements imbibés d'un liquide inflammable. Frappée au visage, elle ouvre le coffre que les braqueurs encagoulés vident méthodiquement de ses 360 000 euros.
Elisabeth écope de six jours d'arrêt pour accident de service. La Poste est en émoi. Un CHSCT, qui prend acte de ses blessures et d'un «choc psychologique lié à la séquestration et à la crainte pour son intégrité physique», est convoqué. Le comité estime que «les agresseurs semblaient très bien informés des procédures» et de l'absence de télésurveillance à l'heure où la guichetière est seule pour manipuler les billets. Il mentionne parmi les «causes de l'accident» la «prise de service par la victime de manière anticipée, compte tenu de sa charge de travail qui a entraîné une prise de service seule et non à deux». Une batterie de mesures est enclenchée : groupes de parole, rondes de policiers, vigiles… Le CHSCT rappelle surtout que les agents ne doivent ouvrir les agences qu'en binôme.
À cinq kilomètres de Bellefontaine, dans le quartier de Saint-Cyprien, Françoise, 55 ans, continue pourtant d'arriver seule. Son bureau a toujours procédé ainsi, malgré l'interdiction. Le récit de l'agression d'Elisabeth est parvenu jusque-là, mais aucune leçon n'a été tirée : «Quand j'ai dit que ça pourrait arriver chez nous, on m'a répondu qu'on était protégé car le bureau ne s'ouvrait pas sur la rue, mais depuis une cour d'immeuble…» La guichetière a seulement pour consigne de passer un coup de fil à sa cheffe vers 7 h 30 pour la prévenir que tout va bien. Le 2 mai 2013, le téléphone ne sonne pas : Françoise est «ligotée» par des braqueurs qui l'ont séquestrée chez elle avec ses enfants, avant de la conduire à l'agence. La postière évoque des mois de «séquelles», de nausées et de vertiges, et n'a toujours pas repris son poste. Elisabeth a retravaillé depuis, mais elle est en rechute depuis l'approche du procès.
Lettre morte. La Poste a-t-elle manqué à son obligation d'assurer la sécurité de ses agents ? C'est ce que soutiennent les guichetières épaulées par l'Unsa-Poste. «Leur agression est directement liée à leur travail, ce que la Poste ne veut pas entendre, insiste Luc Girodin, secrétaire général du syndicat, qui demande à l'établissement de verser 50 000 euros d'indemnités à chacune. Si les règles avaient été respectées, les braquages auraient été plus difficiles à monter.» Cette requête est pour l'heure restée lettre morte. Les autres syndicats n'ont pas suivi le dossier de près. «Ces affaires ont perturbé tout le monde et les équipes de travail ont été éclatées», explique la CGT-Fapt. Le bureau de Bellefontaine a été fermé, les postiers dispatchés. «Si la question est de savoir si la Poste a pris toutes les précautions en matière de sécurité, je vous dirais non», avance toutefois un syndicaliste de SUD PTT, tout en précisant que les deux agentes ne l'ont pas sollicité.
L'Unsa compte sur l'audience aux assises pour apporter de nouveaux éléments qui conforteraient son analyse. Et relancer la recherche d'une solution à l'amiable, sous peine de quoi le syndicat envisage un recours en justice contre la Poste. «Le procès des agresseurs vient de s'ouvrir et on est aux côtés des victimes, temporise une porte-parole de l'établissement. Si des négligences sont révélées au cours de l'audience, on verra ce qu'il convient de faire.»