«On s’est connues à Auschwitz-Birkenau, on était voisines de baraquement. J’avais 15 ans, elle 16, on a tout de suite été proches. On se soutenait l’une l’autre. Ça a duré plusieurs mois, puis elle a été transférée à Bergen-Belsen avec sa mère et sa sœur, et moi à Theresienstadt. La chef de camp, prisonnière de droit commun, lui avait dit qu’elle était trop belle pour mourir. C’était vrai, elle était très belle, et forte. On s’est retrouvées dans un autre camp après la "marche de la mort", puis perdues de vue à la Libération. On s’est retrouvées dans les années 50, par hasard, à Paris. On s’est reconnues tout de suite. De là, on est devenues de plus en plus liées. On parlait beaucoup, de tout, mais beaucoup des camps bien sûr. Ça nous avait tellement marquées… C’était notre conversation principale, car il y avait une compréhension commune. La Shoah, elle voulait en parler, mais encore fallait-il qu’on l’écoute ! Il a fallu des années pour que le couvercle commence à se lever.
«Ce qui nous liait était bien plus fort que nos différences. C’était une sœur pour moi. J’ai perdu une sœur jumelle et contradictoire en même temps. Parce qu’elle était plutôt de droite et moi de gauche, parce qu’on ne venait pas du même milieu. Moi, j’étais plus une fille des rues. Mais elle avait des velléités de rébellion, contre son éducation, son univers. On parlait peu de politique ou de féminisme. Elle n’était pas spécialement féministe d’ailleurs, ou plutôt elle était féministe par la force des choses. Dans son engagement, elle a été formidable, elle a mené tant de combats…»